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BELLIOU-LA-FUMÉE

barcation traversa obliquement la Crinière et fut aspirée par l’entonnoir de l’autre côté du fleuve.

À une trentaine de mètres en avant, on vit d’abord flotter des caisses et des ballots, puis le bateau, la quille en l’air, et les têtes dispersées des six hommes. Deux d’entre eux réussirent à prendre pied dans les remous de la rive. Les autres s’enfoncèrent, et toutes les épaves furent emportées hors de vue par le courant rapide de la courbe.

Il y eut une longue minute d’un silence que le Courtaud fut le premier à rompre.

« Allons, dit-il, autant nous atteler à la besogne. Je vais attraper froid aux pieds si je reste ici plus longtemps.

— Nous allons faire un peu de fumée, fit Kit en souriant.

— Et pour sûr vous justifierez votre nom », fut la réponse.

Le Courtaud se tourna vers les patrons.

« Venez-vous ? » demanda-t-il.

Sans doute le rugissement des eaux les empêcha d’entendre l’invitation.

Le Courtaud et Kit pataugèrent à travers trente centimètres de neige jusqu’à la tête des rapides et démarrèrent le canot. Kit était tiraillé entre deux impressions ; l’exemple de son camarade agissait sur lui à la manière d’une molette ; l’autre, qui l’éperonnait également, était la certitude que le vieil Isaac Belliou et tous les autres de la famille avaient surmonté des difficultés de ce genre dans leur marche à la conquête de l’Occident. Ce qu’ils avaient fait, lui aussi pouvait le faire.

« Maintenez-vous au sommet de la crête », lui cria le Courtaud en portant une chique à sa bouche, au