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BELLIOU-LA-FUMÉE

automatique, tandis que le traîneau plongeait ou se soulevait au hasard des aspérités, oscillait ou pivotait dans les courbes.

L’un après l’autre, et sans raison apparente, trois visages se projetaient dans sa conscience : Joy Gastell, rieuse et hardie ; le Courtaud, abîmé et épuisé par la bataille de la rivière Mono ; et Jean Belliou, couturé et rigide comme une statue de fonte, dans son inexorable sévérité. Et par instants la Fumée se sentait une envie de crier, d’entonner un chant de sauvage triomphe, en se rappelant les bureaux de La Vague et le feuilleton san-franciscain qu’il avait laissé en plan, avec toutes les friperies de cette époque vide.

L’aube grise apparaissait lorsqu’il échangea ses chiens fatigués contre les huit malemutes bien dispos. C’étaient des animaux plus légers que ceux de la baie d’Hudson, capables de fournir une vitesse supérieure, et courant avec l’infatigable souplesse de véritables loups. Sitka Charley lui indiqua l’ordre des traîneaux qui filaient devant lui : le gros Olaf en tête ; Arizona Bill ensuite, puis von Schrœder. C’étaient les trois meilleurs hommes du pays : et de fait, c’est en cet ordre qu’ils avaient été classés dans les paris populaires avant que la Fumée quittât Dawson. Pendant qu’ils couraient pour gagner un million de dollars, les paris engagés se montaient à la moitié d’un autre. Personne n’avait parié sur la Fumée : plusieurs de ses exploits étaient connus, mais on le tenait encore pour un Chéchaquo ayant bien encore des choses à apprendre.

Comme le jour grandissait, la Fumée aperçut un traîneau en avant. Au bout d’une demi-heure, son propre chien de tête galopait immédiatement derrière.