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de Principes innez. Liv. I.

ſi elle eſt exprimée dans un Langage qu’il entende : & tout homme raiſonnable qui n’y a pas fait réflexion aujourd’hui, ſera prêt à la recevoir demain ſans aucune difficulté. Or nous pouvons fort bien ſuppoſer qu’un million d’hommes manquent aujourd’hui de l’une de ces idées, ou de toutes deux enſemble. Car poſé le cas que les Sauvages & la plus grande partie des Païſans ayent effectivement des idées de Dieu & du culte qu’on lui doit rendre, (ce qu’on n’oſera jamais ſoûtenir, ſi on entre en converſation avec eux ſur ces matiéres) je croi du moins qu’on ne ſauroit ſuppoſer qu’il y aît beaucoup d’Enfans qui ayent ces idées. Cela étant, il faut que les Enfans commencent à les avoir dans un certain temps, quel qu’il ſoit ; & ce ſera alors, qu’ils commenceront auſſi à donner leur conſentement à cette Propoſition, pour n’en plus douter. Mais un tel conſentement donné à une Propoſition dès qu’on l’entend pour la prémiére fois, ne prouve pas plus, que les idées qu’elle contient, ſont innées, qu’il prouve qu’un aveugle de naiſſance à qui on levera demain les cataractes, avoit des idées innées du Soleil, de la Lumiére, du Saffran, ou du Jaune, parce que dès que ſa vûë ſera éclaircie, il ne manquera pas de donner ſon conſentement à ces deux Propoſitions, Le Soleil eſt lumineux, Le Saffran eſt jaune. Or ſi un tel conſentement ne prouve point, que les idées dont ces Propoſitions ſont compoſées, ſoient innées, il prouve encore moins, que ces Propoſitions le ſoient. Que ſi quelqu’un a des idées innées, je ſerois bien aiſe qu’il voulût prendre la peine de me dire, quelles ſont ces Idées, & combien il en connoit de cette eſpéce.

§. 20.Il n’y a point d’Idées innées dans la Mémoire. A quoi j’ajoûterai, que s’il y a des Idées innées, qui ſoient dans l’Eſprit ſans que l’Eſprit y penſe actuellement, il faut, du moins, qu’elles ſoient dans la Mémoire d’où elles doivent être tirées par voye de Reminiscence, c’eſt-à-dire, être connuës, lors qu’on en rappelle le ſouvenir, comme autant de perceptions qui ont été auparavant dans l’Ame, à moins que la Reminiſcence ne puiſſe ſubſiſter ſans reminiſcence. Car ſe reſſouvenir d’une choſe, c’eſt l’appercevoir par mémoire ou par une conviction intérieure qui nous faſſe ſentir que nous avons eu auparavant une connoiſſance ou une perception particuliére de cette choſe. Sans cela, toute idée qui vient dans l’Eſprit, eſt nouvelle, & n’eſt point apperçüe par voye de reminiſcence : car cette perſuaſion où l’on eſt intérieurement qu’une telle idée a été auparavant dans notre Eſprit, eſt proprement ce qui diſtingue la reminiſcence de toute autre maniére de penſer. Toute idée que l’Eſprit n’a jamais apperçüe, n’a jamais été dans l’Eſprit ; & toute idée qui eſt dans l’Eſprit, eſt ou une perception actuelle, ou bien ayant été actuellement apperçuë, elle eſt en telle ſorte dans l’Eſprit, qu’elle peut redevenir une perception actuelle par le moyen de la Mémoire. Lors qu’il y a dans l’Eſprit une perception actuelle de quelque idée ſans mémoire, cette idée paroît tout-à-fait nouvelle à l’Entendement : & lorſque la Mémoire rend quelque idée actuellement préſente à l’Eſprit, c’eſt en faiſant ſentir intérieurement, que cette idée a été actuellement dans Eſprit, & qu’elle ne lui étoit pas tout-à-fait inconnuë. J’en appelle à ce que chacun obſerve en ſoi-même, pour ſavoir ſi cela n’eſt pas ainſi ; & je voudrois bien qu’on me donnât un exemple de quelque idée,