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Qu’il n’y a point

ſoit là le moyen par où la plûpart des hommes viennent à s’aſſûrer de la vérité & de l’évidence de leurs Principes, il aura peut-être bien de la peine à expliquer d’une autre maniére comment ils embraſſent des opinions tout-à-fait oppoſées, qu’ils croyent fortement, qu’ils ſoûtiennent avec une extrême confiance, & qu’ils ſont prêts, pour la plûpart, de ſéeller de leur propre ſang. Et dans le fond, ſi c’eſt là le privilége des Principes innez d’être reçus ſur leur propre autorité, ſans aucun examen, je ne vois pas qu’il y ait rien qu’on ne puiſſe croire, ni comment les Principes que chacun s’eſt choiſi en particulier, pourroient être revoquez en doute. Mais ſi l’on dit, qu’on peut & qu’on doit examiner les Principes & les mettre, pour ainſi dire, à l’épreuve, je voudrois bien ſavoir comment de prémiers Principes, des Principes gravez naturellement dans l’ame, peuvent être mis à l’épreuve : ou du moins qu’il me ſoit permis de demander à quelles marques, & par quels caractéres on peut diſtinguer les véritables Principes, les Principes innez, d’avec ceux qui ne le ſont pas, afin que parmi le grand nombre de Principes auſquels on attribuë ce privilege, je puiſſe être à l’abri de l’erreur dans un point auſſi important que celui-là. Cela fait, je ſerai tout prêt à recevoir avec joye ces admirables Propoſitions qui ne peuvent être que d’une grande utilité. Mais juſque-là, je ſuis en droit de douter qu’il y ait aucun Principe véritablement inné, parce que je crains que le conſentement univerſel, qui eſt le ſeul caractére qu’on ait encore produit pour diſcerner les Principes innez, ne ſoit pas une marque aſſez ſûre pour me déterminer en cette occaſion, & pour me convaincre de l’exiſtence d’aucun Principe inné. Par tout ce que je viens de dire, il paroît clairement, à mon avis, qu’il n’y a point de Principe de pratique dont tous les hommes conviennent ; & qu’il n’y en a, par conſéquent, aucun qu’on puiſſe appeler inné.


CHAPITRE III.

Autres conſiderations touchant les Principes innez, tant ceux qui regardent la ſpéculation que ceux qui appartiennent à la pratique.


§. I.Des Principes ne ſauroient être innez, à moins que les idées dont ils ſont compoſez, ne le ſoient auſſi.
SI ceux qui nous veulent perſuader qu’il y a des Principes innez, ne les euſſent pas conſiderez en gros, mais euſſent examiné à part les diverſes parties dont ſont compoſées les Propoſitions qu’ils nomment Principes innez, ils n’auroient pas été peut-être ſi prompts à croire que ces Propoſitions ſont effectivement innées. Parce que ſi les idées dont ces Propoſitions ſont compoſées, ne ſont pas innées, il eſt impoſſible que les Propoſitions elles-mêmes ſoient innées, ou que la connoiſſance que nous en avons, ſoit née avec nous. Car ſi ces idées ne ſont point innées, il y a eû un temps auquel l’Ame ne connoiſſoit point ces Principes, qui, par conſéquent, ne ſont point innez, mais viennent de quel-