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de pratique ne ſont innez. Liv. I.

§. 15.Examen des Principes innez, que propoſe Mylord Herbert. Comme je venois d’écrire ceci, l’on m’apprit que Mylord Herbert avoit indiqué les Principes de Morale qu’on prétend être innez, dans ſon Ouvrage intitulé, De Veritate, De la Verité. J’allais d’abord le conſulter, eſpérant qu’un ſi habile homme auroit dit quelque choſe qui pourroit me ſatisfaire, & terminer toutes mes recherches ſur cet article. Dans le chapitre où il traite de l’inſtinct naturel, De inſtinctu naturali, pag. 76. Edit. 1656. voici les ſix marques auxquelles il dit qu’on peut reconnoître ce qu’il appelle Notions communes, 1. Prioritas, ou l’avantage de préceder toutes les autres connoiſſances. 2. Independentia, l’independance, 3. Univerſalitas, l’univerſalité. 4. Certitudo, la certitude. 5. Neceſſitas, la néceſſité, c’eſt-à-dire, comme il l’explique lui-même, ce qui ſert à la conſervation de l’homme, quæ faciunt ad hominis conſervationem. 6. Modus conformationis, id eſt, Aſſenſus nullâ interpoſitâ morâ, la maniére dont on reçoit une certaine vérité, c’eſt-à-dire un prompt conſentement qu’on donne ſans héſiter le moins du monde. Et ſur la fin de ſon petit Traité ** De la Religion du Laique. De Religione Laici, il parle ainſi de ces Principes innez, pag. 3. Adeò ut non uniuſcujuſvis Religionis confinio arctentur quæ ubique vigent veritates. Sunt enim in ipſâ mente cœlitùs deſcriptæ, nulliſque traditionibus, ſive ſcriptis, ſive ſcriptis obnoxiæ : C’eſt-à-dire, « Ainſi ces Véritez qui ſont reçuës par tout, ne ſont point reſſerrées dans les bornes d’une Religion particuliére, car étant gravées dans l’Ame même par le doigt de Dieu, elles ne dépendent d’aucune Tradition, écrite ou non écrite ». Et un peu plus bas, il ajoûte, Veritates noſtræ Catholicæ, quæ tanquam indubia Dei effata, in foro interiori deſcriptæ ; c’eſt-à-dire, «  nos Vérités catholiques, qui ſont écrites sans la Conſcience, comme autant d’Oracles infaillibles émanez de Dieu ». Mylord Herbert ayant ainſi propoſé les caractéres des Principes innez ou Notions communes, & ayant aſſûré que ces Principes ont été gravez dans l’Ame des hommes par le doigt de Dieu, il vient à les propoſer, & les réduit à ces cinq :[1] Le premier eſt, qu’il y a un Dieu ſuprême : Le ſecond, que ce Dieu doit être ſervi : Le troiſiéme, que la Vertu jointe avec la piété eſt le Culte le plus excellent qu’on puiſſe rendre à la Divinité : Le quatriéme, qu’il faut ſe repentir de ſes péchez : Le cinquiéme, qu’il y a des peines et des récompenſes après cette vie, ſelon qu’on aura bien ou mal vêcu. Quoi que je tombe d’accord que ce ſont là des véritez évidentes, & d’une telle nature qu’étant bien expliquées, une Créature raiſonnable ne peut guere éviter d’y donner ſon conſentement, je croi pourtant qu’il s’en faut beaucoup que cet Auteur faſſe voir que ce ſont des impreſſions innées, naturellement gravées dans la Conſcience de tous les hommes, in Foro interiori deſcriptæ. Je me fonde ſur quelques obſervations que j’ai pris la liberté de faire contre ſon hypotheſe.

§. 16. Je remarque, en premier lieu, que ces cinq Propoſitions ne ſont pas toutes des Notions communes, gravées dans nos Ames par le doigt de

  1. Eſſe aliquod ſupremum Numen. 2. Numen illud coli debere. 3. Virtutem cum pietate conjunctam optimam eſſe rationem Cultûs divini. 4. Reſipiſcendum eſſe à peccatis. 5. Dari præmium vel pœnam poſt hanc vitam tranſactam.