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Qu’il n’y a point

re, les idées de ces deux differentes choſes, gravées diſtinctement dans ſon Eſprit, & qu’il a appris les noms de Pomme & de Feu qui ſervent à exprimer ces idées : cependant ce même Enfant ne donnera peut-être ſon conſentement, que quelques années après, à cette autre Propoſition, Il eſt impoſſible qu’une choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps. Parce que, bien que les mots qui expriment cette derniére Propoſition, ſoient peut-être auſſi faciles à apprendre que ceux de Pomme & de Feu, cependant comme la ſignification en eſt plus étenduë & plus abſtraite que celle des noms deſtinez à exprimer ces choſes ſenſibles qu’un Enfant a occaſion de connoître, il n’apprend pas ſi-tôt le ſens précis de ces termes abſtraits, & il lui faut effectivement plus de temps, pour former clairement dans ſon Eſprit les idées générales qui ſont exprimées par ces termes. Jusque-là, c’eſt en vain que vous tâcherez de faire recevoir à un Enfant une Propoſition compoſée de ces ſortes de termes généraux : car avant qu’il aît acquis la connoiſſance des idées qui ſont renfermées dans cette Propoſition, & qu’il ait appris les noms qu’on donne à ces idées, il ignore abſolument cette Propoſition, auſſi bien que cette autre dont je viens de parler, Une Pomme n’eſt pas du Feu, ſuppoſé qu’il n’en connoiſſe pas non plus les termes ni les idées : il ignore, dis-je, ces deux Propoſitions également, & cela, par la même raiſon, c’eſt-à-dire parce que pour porter un jugement il faut qu’il trouve que les idées qu’il a dans l’Eſprit, conviennent ou ne conviennent pas entre elles, ſelon que les mots qui ſont employez pour les exprimer, ſont affirmez ou niez l’un de l’autre dans une certaine Propoſition. Or ſi on lui donne à conſiderer des Propoſitions conçuës en des termes, qui expriment des Idées qui ne ſoient point encore dans ſon Eſprit, il ne donne ni ne refuſe ſon conſentement à ces ſortes de Propoſitions, ſoit qu’elles ſoient évidemment vrayes ou évidemment fauſſes, mais il les ignore entierement. Car comme les mots ne ſont que de vains ſons pendant tout le temps qu’ils ne ſont pas des ſignes de nos idées, nous ne pouvons en faire le ſujet de nos penſées, qu’entant qu’ils répondent aux idées que nous avons dans l’Eſprit. Il suffit d’avoir dit cela en paſſant comme une raiſon qui m’a porté à revoquer en doute les Principes qu’on appelle innez : car du reſte je ferai voir plus au long, dans le Livre ſuivant, Quelle eſt l’origine de nos connoiſſances, Par quelle voye notre Eſprit vient à connoître les choſes ; & Quels ſont les fondemens des differens dégrez d’aſſentiment que nous donnons aux diverſes véritez que nous embraſſons.

§. 24.Les Propoſitions qu’on veut faire paſſer pour innées, ne le ſont point, parce qu’elles ne ſont pas univerſellement reçuës. Enfin pour conclurre ce que j’ai à propoſer contre l’Argument qu’on tire du Conſentement univerſel, pour établir des Principes innez, je conviens avec ceux qui s’en ſervent, Que ſi ces Principes ſont innez, il faut néceſſairement qu’ils ſoient reçus d’un conſentement univerſel. Car qu’une vérité ſoit innée, & que cependant on n’y donne pas ſon conſentement, c’eſt à mon égard une choſe auſſi difficile à entendre, que de concevoir qu’un homme connoiſſe, & ignore une certaine vérité dans le même temps. Mais cela poſe, les Principes qu’ils nomment innez, ne ſauroient etre innez, de leur propre aveu, puis qu’ils ne ſont pas reçus de ceux qui n’entendent pas les termes qui ſervent à les exprimer, ni par une grande partie de ceux qui,