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De l’Enthouſiaſme. Liv. IV.

velation qui vient de Dieu ? Ce ſentiment, eſt-il une perception d’une inclination ou fantaiſie de faire quelque choſe, ou bien de l’Eſprit de Dieu qui produit en eux cette inclination ? Ce ſont là deux perceptions fort différentes, & que nous devons diſtinguer ſoigneuſement, ſi nous ne voulons pas nous abuſer nous-mêmes. Je puis appercevoir que c’eſt une Revelation immédiate de Dieu. Je puis appercevoir dans Euclide la vérité d’une Propoſition, ſans qu’elle ſoit ou que j’apperçoive qu’elle ſoit une Revelation. Je puis appercevoir auſſi que je n’en ai pas acquis la connoiſſance par une voye naturelle ; d’où je puis conclurre qu’elle m’eſt revelée, ſans appercevoir pourtant que c’eſt une Revelation qui vient de Dieu ; parce qu’il y a des Eſprits qui ſans en avoir reçu la commiſſion de la part de Dieu, peuvent exciter ces idées en moi, & les préſenter à mon Eſprit dans un tel ordre que j’en puiſſe appercevoir la connexion. De ſorte que la connoiſſance d’une Propoſition qui vient dans mon Eſprit je ne ſai comment, n’eſt pas une perception qu’elle vienne de Dieu. Moins encore une forte perſuaſion que cette propoſition eſt véritable, eſt-elle une perception qu’elle vient de Dieu, ou même qu’elle eſt véritable. Mais quoi qu’on donne à une telle penſée le nom de lumiére & de vûë, je croi que ce n’eſt tout au plus que croyance & confiance : & la Propoſition qu’ils ſuppoſent être une Revelation, n’eſt pas une Propoſition qu’ils connoiſſent véritable, mais qu’ils préſument véritable. Car lorſqu’on connoit qu’une Propoſition eſt véritable, la Revelation eſt inutile. Et il eſt difficile de concevoir comment un homme peut avoir une revelation de ce qu’il connoit dejà. Si donc c’eſt une Propoſition de la vérité de laquelle ils ſoient perſuadez, ſans connoître qu’elle ſoit véritable, ce n’eſt pas voir, mais croire ; quel que ſoit le nom qu’ils donnent à une telle perſuaſion. Car ce ſont deux voyes par où la Vérité entre dans l’Eſprit, tout-à-fait diſtinctes, de ſorte que l’une n’eſt pas l’autre. Ce que je vois, je connois qu’il eſt tel que je le vois, par l’évidence de la choſe même. Et ce que je croi, je le ſuppoſe véritable par le témoignage d’autrui. Mais je dois connoître que ce témoignage a été rendu : autrement, quel fondement puis-je avoir de croire ? Je dois voir que c’eſt Dieu qui me revele cela, ou bien je ne vois rien. La queſtion ſe réduit donc à ſavoir comment je connois, que c’eſt Dieu qui me revele cela, que cette impreſſion eſt faite ſur mon Ame par ſon Saint Eſprit, & que je ſuis par conſéquent obligé de la ſuivre. Si je ne connois pas cela, mon aſſûrance eſt ſans fondement, quelque grande qu’elle ſoit, & toute la lumiére dont je prétens être éclairé, n’eſt qu’Enthouſiaſme. Car ſoit que la Propoſition qu’on ſuppoſe revelée ſoit en elle-même évidemment véritable, ou viſiblement probable, ou incertaine, à en juger par les voyes ordinaires de la Connoiſſance, la vérité qu’il faut établir ſolidement & prouver évidemment, c’eſt que Dieu a revelé cette Propoſition, & que ce que je prens pour Revelation a été mis certainement dans mon Eſprit par lui-même, & que ce n’eſt pas une illuſion qui y ait été inſinuée par quelque autre Eſprit, ou excitée par ma propre fantaiſie. Car, ſi je ne me trompe, ces gens-là prennent une telle choſe pour vraye, parce qu’ils préſument que Dieu l’a