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De la Foi & de la Raiſon ;

velation en s’accordant avec elle puiſſe confirmer ſes déciſions, elle ne ſauroit pourtant, dans de tels cas, invalider ſes decrets ; & par-tout où nous avons une déciſion claire & évidente de la Raiſon, nous ne pouvons être obligez d’y renoncer pour embraſſer l’opinion contraire, ſous prétexte que c’eſt une Matiére de Foi ; car la Foi ne peut avoir aucune autorité contre des déciſions claires & expreſſes de la Raiſon.

§. 7.Les choſes qui ſont au deſſus de la Raiſon. Mais en troiſiéme lieu, comme il y a pluſieurs choſes ſur quoi nous n’avons que des notions fort imparfaites ou ſur quoi nous n’en avons abſolument point ; & d’autres dont nous ne pouvons point connoître l’exiſtence paſſée, préſente, ou à venir, par l’uſage naturel de nos Facultez ; comme, dis-je, ces choſes ſont au delà de ce que nos Facultez naturelles peuvent découvrir & au deſſus de la Raiſon, ce ſont de propres Matiéres de Foi lorsqu’elles ſont revelées. Ainſi, qu’une partie des Anges ſe ſoient rebellez contre Dieu, & qu’à cauſe de cela ils ayent été privez du bonheur de leur prémier état ; & que les Morts reſſuſciteront & vivront encore ; ces choſes & autres ſemblables étant au delà de ce que la Raiſon peut découvrir, ſont purement des Matiéres de Foi avec lesquelles la Raiſon n’a rien à voir directement.

§.8.Ou non contraire à la Raiſon, ſi elles ſont revelées, ſont des Matiéres de Foi. Mais parce que Dieu en nous accordant la Lumiére de la Raiſon, ne s’eſt pas ôté par-là la liberté de nous donner, lorsqu’il le juge à propos, le ſecours de la Revelation ſur les matiéres où nos Facultez naturelles ſont capables de nous déterminer par des raiſons probables ; dans de cas lorsqu’il a plû à Dieu de nous fournir ce ſecours extraordinaire, la Revelation doit l’emporter ſur les conjectures probables de la Raiſon. Parce que l’Eſprit n’étant pas certain de la vérité de ce qu’il ne connoit pas évidemment, mais ſe laiſſant ſeulement entraîner à la probabilité qu’il y découvre eſt obligé de donner ſon aſſentiment à un témoignage qu’il fait venir de Celui qui ne peut tromper ni être trompé. Cependant il appartient toûjours à la Raiſon de juger ſi c’eſt véritablement une Revelation, & quelle eſt la ſignification des paroles dans lesquelles elle eſt propoſée. Il eſt vrai que ſi une choſe qui eſt contraire aux Principes évidens de la Raiſon & à la connoiſſance manifeſte que l’Eſprit a de ſes propres Idées claires & diſtinctes, paſſe pour Revelation, il faut alors écouter la Raiſon ſur cela comme ſur une matiére dont elle a droit de juger ; puiſqu’un homme ne peut jamais connoître ſi certainement, qu’une Propoſition contraire aux Principes clairs & évidens de ſes Connoiſſances naturelles, eſt revelée, ou qu’il entend bien les mots dans lesquels elle lui eſt propoſée, qu’il connoit que la Propoſition contraire eſt véritable ; & par conſéquent il eſt obligé de conſiderer, d’examiner cette Propoſition comme une Matiére qui eſt du reſſort de la Raiſon, & non de la recevoir ſans examen, comme un Article de Foi.

§. 9.Il faut écouter la Revelation dans des Matiéres où la Raiſon ne ſauroit juger ou dont elle ne peut porter que des jugemens probables. Prémierement donc toute Propoſition revelée, de la vérité de laquelle l’Eſprit ne ſauroit juger par ſes Facultez & Notions naturelles, eſt pure matiére de Foi, & au deſſus de la Raiſon