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& de leurs bornes diſtinctes. Liv. IV.

Revelation divine, avec plus de certitude que nous le ſommes de la vérité de notre propre Connoiſſance ; puiſque toute la force de la Certitude dépend de la connoiſſance que nous avons que c’eſt Dieu qui a revelé cette Propoſition ; de ſorte que dans ce cas où l’on ſuppoſe que la Propoſition revelée eſt contraire à notre Connoiſſance ou à notre Raiſon, elle ſera toûjours en butte à cette Objection, que nous ne ſaurions dire comment il eſt poſſible de concevoir qu’une choſe vienne de Dieu, ce bienfaiſant Auteur de notre Etre, laquelle étant reçuë pour véritable, doit renverſer tous les principes & tous les fondemens de Connoiſſance, qu’il nous a donnez, rendre toutes nos Facultez inutiles, détruire abſolument la plus excellente partie de ſon Ouvrage, je veux dire notre Entendement, & réduire l’Homme dans un état où il aura moins de lumiére & de moyens de ſe conduire que les Bêtes qui périſſent. Car ſi l’Eſprit de l’Homme ne peut jamais avoir une évidence plus claire, ni peut-être ſi claire qu’une choſe eſt de Revelation divine, que celle qu’il a des Principes de ſa propre Raiſon, il ne peut jamais avoir aucun fondement de renoncer à la pleine évidence de ſa propre Raiſon pour recevoir à la place une Propoſition dont la revelation n’eſt pas accompagnée d’une plus grande évidence que ces Principes.

§. 6.Moins encore la Revelation Traditionale. Jusques là un homme a droit de faire uſage de ſa Raiſon & eſt obligé de l’écouter, même à l’égard d’une Revelation originale & immédiate qu’on ſuppoſe avoir été faite à lui-même. Mais pour tous ceux qui ne prétendent pas à une Revelation immédiate & de qui l’on exige qu’ils reçoivent avec ſoûmiſſion des Véritez, revelées à d’autres hommes, qui leur ſont communiquées par des Ecrits que la Tradition a fait paſſer entre leurs mains, ou par des Paroles ſorties de la bouche d’une autre perſonne, ils ont beaucoup plus à faire de la Raiſon, & il n’y a qu’elle qui puiſſe nous engager à recevoir ces ſortes de véritez. Car ce qui eſt matiére de Foi étant ſeulement une Revelation divine, & rien autre choſe ; la Foi, à prendre ce mot pour ce que nous appellons communément Foi divine, n’a rien à faire avec aucune autre Propoſition que celles qu’on ſuppoſe divinement revelées. De ſorte que je ne vois pas comment ceux qui tiennent que la ſeule Revelation eſt l’unique objet de la Foi, peuvent dire, que c’eſt une matiére de Foi & non de la Raiſon, de croire que telle ou telle Propoſition qu’on peut trouver dans tel ou tel Livre eſt d’inſpiration divine, à moins qu’ils ne ſachent par revelation que cette Propoſition ou toutes celles qui ſont dans ce Livre, ont été communiquées par une Inſpiration divine. Sans une telle revelation, croire ou ne pas croire que cette Propoſition ou ce Livre ait une autorité divine, ne peut jamais être une matiére de Foi, mais de Raiſon, juſques-là que je ne puis venir à y donner mon conſentement que par l’uſage de ma Raiſon, qui ne peut jamais exiger de moi, ou me mettre en état de croire ce qui eſt contraire à elle-même, étant impoſſible à la Raiſon de porter jamais l’Eſprit à donner ſon aſſentiment à ce qu’elle-même trouve déraiſonnable.

Par conſéquent dans toutes les choſes où nous recevons une claire évidence par nos propres Idées & par les Principes de Connoiſſance dont j’ai parlé ci-deſſus, la Raiſon eſt le vrai Juge competent ; & quoi que la Revelation-