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De la Raiſon. Liv. IV.

moyenne a avec celle à laquelle nous l’avons comparé auparavant, lorſque nous venons à la comparer avec l’Idée suivante ; & plus il y a d’Idées moyennes dans une Démonſtration, plus on eſt en danger de ſe tromper, car il faut remarquer & voir d’une connoiſſance de ſimple vûë chaque convenance ou diſconvenance des Idées qui entrent dans la Démonſtration, en chaque dégré de la déduction, & retenir cette liaiſon dans la Mémoire, juſtement comme elle eſt, de ſorte que l’Eſprit doit être aſſûré que nulle partie de ce qui eſt néceſſaire pour former la Démonſtration, n’a été omiſe ou négligée. C’eſt ce qui rend certaines Démonſtrations longues, embarraſſées, & trop difficiles pour ceux qui n’ont pas aſſez de force & d’étenduë d’Eſprit pour appercevoir diſtinctement, & pour retenir exactement & en bon ordre tant d’articles particuliers. Ceux mêmes qui ſont capables de débrouiller dans leur tête ces ſortes de ſpéculations compliquées, ſont obligez quelquefois de les faire paſſer plus d’une fois en revûë avant que de pouvoir parvenir à une connoiſſance certaine. Mais du reſte, lorſque l’Eſprit retient nettement & d’une connoiſſance de ſimple vûë le ſouvenir de la convenance d’une Idée avec une autre, & de celle-ci avec une troiſiéme ; & de cette troiſiéme avec une quatriéme, &c. alors la convenance de la prémiére & de la quatriéme eſt une Démonſtration, & produit une connoiſſance certaine qu’on peut appeller Connoiſſance raiſonnée, comme l’autre eſt une Connoiſſance intuitive.

§. 16.Pour ſuppléer à ces bornes étroites de la Raiſon, il ne nous reſte que le jugement fondé ſur des raiſonnemens probables. Il y a, en ſecond lieu, d’autres Idées dont on ne peut juger qu’elles conviennent ou disconviennent, autrement que par l’entremiſe d’autres Idées qui n’ont point de convenance certaine avec les Extrêmes, mais ſeulement une convenance ordinaire ou vraiſemblable ; & c’eſt ſur ces Idées qu’il y a occaſion d’exercer le Jugement, qui eſt cet acquieſcement de l’Eſprit par lequel on ſuppoſe que certaines Idées conviennent entr’elles en les comparant avec ces ſortes de Moyens probables. Quoi que cela ne s’éleve jamais juſqu’à la Connoiſſance, ni juſqu’à ce qui en fait le plus bas dégré ; cependant ces Idées moyennes lient quelquefois les Extrêmes d’une maniére ſi intime ; & la Probabilité eſt ſi claire & ſi forte, que l’Aſſentiment la ſuit auſſi néceſſairement que la Connoiſſance ſuit la Démonſtration. L’excellence & l’uſage du Jugement conſiſte à obſerver exactement la force & le poids de chaque Probabilité & à en faire une juſte eſtimation ; & enſuite après les avoir, pour ainſi dire, toutes ſommées exactement, à ſe déterminer pour le côté qui emporte la balance.

§. 17.Intuition, Démonſtration, jugement. La Connoiſſance intuitive eſt la perception de la convenance ou diſconvenance certaine de deux Idées comparées immédiatement enſemble.

La Connoiſſance raiſonnée eſt la perception de la convenance ou diſconvenance certaine de deux Idées, par l’intervention d’une ou de pluſieurs autres Idées.

Le Jugement eſt la penſée ou la ſuppoſition que deux Idées conviennent ou diſconviennent, par l’intervention d’une ou de pluſieurs Idées dont l’Eſprit ne voit pas la convenance ou la diſconvenance certaine avec ces deux Idées, mais qu’il a obſervé être fréquente & ordinaire.

§. 18.Conſéquences déduites des paroles, & conſéquences déduites des Idées. Quoi qu’une grande partie des fonctions de la Raiſon, & ce qui