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De la Raiſon. Liv. IV.

nexion que chaque Idée a avec celles qu’il joint enſemble avant qu’il puiſſe s’en ſervir avec raiſon à former un Syllogiſme. Et quand tous ces Syllogiſmes ſont faits, ceux qui ſont Logiciens & ceux qui ne le ſont pas, ne voyent pas mieux qu’auparavant la force de l’Argumentation, c’eſt-à-dire, la connexion des Extrêmes. Car ceux qui ne ſont pas Logiciens de profeſſion, ignorant les véritables formes du Syllogiſme auſſi bien que les fondemens de ces formes, ne ſauroient connoître ſi les Syllogiſmes ſont réguliers ou non, dans des Modes & des Figures qui concluent juſte ; & ainſi ils ne ſont point aidez par les formes ſelon leſquelles on range ces Idées ; & d’ailleurs l’ordre naturel dans lequel l’Eſprit pourroit juger de leurs connexions reſpectives étant troublé par ces formes ſyllogiſtiques, il arrive de-là que la conſéquence eſt beaucoup plus incertaine, que ſans leur entremiſe. Et pour ce qui eſt des Logiciens eux-mêmes, ils voyent la connexion que chaque Idée moyenne a avec celles entre leſquelles elle eſt placée (d’où dépend toute la force de la conſéquence) ils la voyent, dis-je, tout auſſi bien avant qu’après que le Syllogiſme ne contribuë en rien à montrer ou à fortifier la connexion de deux Idées jointes immédiatemment enſemble ; il montre ſeulement par la connexion qui a été déja découverte entr’elles, comment les Extrêmes ſont liez l’un à l’autre. Mais s’agit-il de ſavoir quelle connexion une Idée moyenne a avec aucun des Extrêmes dans ce Syllogiſme, c’eſt ce que nul Syllogiſme ne montre, ni ne peut jamais montrer. C’eſt l’Eſprit ſeulement qui apperçoit ou qui peut appercevoir ces Idées placées ainſi dans une eſpèce de juxta-poſition, & cela par ſa propre Vûë qui ne reçoit abſolument aucun ſecours ni aucune lumiére de la forme Syllogiſtique qu’on leur donne. Cette forme ſert ſeulement à montrer que ſi l’idée moyenne convient avec celles auxquelles elle eſt immédiatment appliquée de deux côtez, les deux Idées éloignées, ou, comme parlent les Logiciens, les Extrêmes conviennent certainement enſemble ; & par conſéquent la liaiſon immédiate que chaque idée a avec celle à laquelle elle eſt appliquée de deux côtez, d'où dépend toute la force du Raiſonnement, paroit auſſi bien avant qu’après la conſtruction du Syllogiſme ; ou bien celui qui forme le Syllogiſme ne le verra jamais. Cette connexion d’Idée ne ſe voit, comme nous avons déja dit, que par la Faculté perceptive de l’Eſprit qui les découvre jointes enſemble dans une eſpèce de juxta-poſition, & cela, lorſque les deux Idées ſont jointes enſemble dans une Propoſition, ſoit que cette Propoſition conſtituë ou non la Majeure ou la Mineure d’un Syllogiſme.

A quoi ſert donc le Syllogiſme ? Je répons, qu’il eſt principalement d’uſage dans les Ecoles, où l’on n’a pas honte de nier la convenance des Idées qui conviennent viſiblement enſemble, ou bien hors des Ecoles à l’égard de ceux qui, à l’occaſion & à l’exemple de ce que les Doctes n’ont pas honte de faire, ont appris auſſi à nier ſans pudeur la connexion des Idées qu’ils ne peuvent s’empêcher de voir eux-mêmes. Pour celui qui cherche ſincerement la Vérité & qui n’a d’autre but que de la trouver ; il n’a aucun beſoin