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Des Dégrez d’Aſſentiment. Liv. IV.

s’en eſt ſervi le dernier, que dans la bouche ou dans les Ecrits de celui de qui ce dernier l’a appris.

§. 12.Dans les choſes qu’on ne peut découvrir par les Sens, l’Analogie eſt la grande Règle de la Probabilité. Les Probabilitez dont nous avons parlé juſqu’ici, ne regardent que des matiéres de fait & des choſes capables d’être prouvées par obſervation & par témoignage. Il reſte une autre eſpèce de Probabilité qui appartient à des choſes ſur leſquelles les hommes ont des opinions, accompagnées de différens dégrez d’aſſentiment, quoi que ces choſes ſoient de telle nature que ne tombant pas ſous nos Sens, elles ne ſauroient dépendre d’aucun témoignage. Telles ſont, I. l’exiſtence, la nature & les opérations des Etres finis & immateriels qui ſont hors de nous, comme les Eſprits, les Anges, les Démons, &c. ou l’exiſtence des Etres materiels que nos Sens ne peuvent appercevoir à cauſe de leur petiteſſe ou de leur éloignement, comme de ſavoir s’il y a des Plantes, des Animaux & des etres Intelligens dans les Planetes & dans d’autres Demeures de ce vaſte Univers. 2. Tel eſt encore ce qui regarde la maniére d’operer dans la plûpart des parties des Ouvrages de la Nature où, quoi que nous voyions des Effets ſenſibles, leurs Cauſes nous ſont abſolument inconnuës, de ſorte que nous ne ſaurions appercevoir les moyens & la maniere dont ils ſont produits. Nous voyons que les Animaux ſont engendrez, nourris, & qu’ils ſe meuvent, que l’Aimant attire le Fer, & que les parties d’une Chandelle venant à ſe fondre ſucceſſivement, ſe changent en flamme, & nous donnent de la lumiére & de la chaleur. Nous voyons & connoiſſons ces Effets & autres ſemblables : mais pour ce qui eſt des Cauſes qui opérent, & de la maniére dont ils ſont produits, nous ne pouvons faire autre choſe que les conjecturer probablement. Car ces choſes & autres ſemblables ne tombant pas ſous nos Sens, ne peuvent être ſoûmiſes à leur examen, ou atteſtées par aucun homme ; & par conſéquent elles ne peuvent paroître plus ou moins probables, qu’entant qu’elles conviennent plus ou moins avec les véritez qui ſont établies dans notre Eſprit, & qu’elles ont du rapport avec les autres parties de notre Connoiſſance & de nos Obſervations. L’Analogie eſt le Seul ſecours que nous ayions dans ces matiéres ; & c’eſt de là ſeulement que nous tirons tous nos fondemens de Probabilité. Ainſi, ayant obſervé qu’un frottement violent de deux Corps produit de la Chaleur, & ſouvent meme du Feu, nous avons ſujet de croire que ce que nous appelons Chaleur & Feu conſiſte dans une certaine agitation violente des particules imperceptibles de la Matiére brûlante : obſervant de même que les différentes refractions des Corps pellucides excitent dans nos yeux différentes apparences de pluſieurs Couleurs, comme auſſi que la diverſe poſition & le différent arrangement des parties qui compoſent la ſurface de différens Corps comme du Velours, de la ſoye façonnée en ondes, &c. produit le même effet, nous croyons qu’il eſt probable que la couleur & l’éclat des Corps n’eſt autre choſe de la part des Corps, que le différent arrangement & la refraction de leurs particules inſenſibles. Ainſi, trouvant que dans toutes les parties de la Création qui peuvent être le ſujet des obſervations humaines, il y a une connexion graduelle de l’une à l’autre, ſans aucun vuide conſiderable, ou viſible, entre-deux, parmi toute cette diverſité de choſes que nous