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De la Probabilité. Liv. IV.

Droits, y donne ſon conſentement, c’eſt-à-dire, le reçoit pour véritable : auquel cas le fondement de ſon Aſſentiment, c’eſt la Probabilité de la choſe, dont la preuve eſt pour l’ordinaire accompagnée de la vérité, l’homme ſur le témoignage duquel il reçoit, n’ayant pas accoûtumé d’affirmer une choſe qui ſoit contraire à ſa connoiſſance ou au deſſus de ſa connoiſſance, & ſur-tout dans ces ſortes de matiéres. Ainſi, ce qui lui fait donner ſon conſentement à cette Propoſition, Que les trois Angles d’un Triangle ſont égaux à deux Droits, ce qui l’oblige à ſuppoſer de la convenance entre ces Idées ſans connoître qu’elles conviennent effectivement, c’eſt la veracité de celui qui parle, laquelle il a ſouvent éprouvée en d’autres rencontres, ou qu’il ſuppoſe dans celle-ci.

§. 2.La Probabilité ſupplée au défaut de Connoiſſance. Parce que notre Connoiſſance eſt reſſerrée dans des bornes fort étroites, comme on l’a déja montré, & que nous ne ſommes pas aſſez heureux pour trouver certainement la vérité en chaque Choſe que nous avons occaſion de conſiderer ; la plûpart des Propoſitions qui ſont l’objet de nos penſées, de nos raiſonnemens, de nos diſcours, & même de nos actions, ſont telles que nous ne pouvons pas avoir une connoiſſance indubitable de leur vérité. Cependant, il en a quelques-unes qui approchent ſi fort que nous leur donnons notre aſſentiment avec autant d’aſſûrance, & que nous agiſſons avec autant de fermeté en vertu de cet aſſentiment, que ſi elles étoient démontrées d’une maniére infaillible, & que nous en euſſions une connoiſſance parfaite & certaine. Mais parce qu’il y a en cela des dégrez depuis ce qui eſt le plus près de la Certitude & de la Démonſtration juſqu’à ce qui eſt contraire à toute vraiſemblance & près des confins de l’impoſſible, & qu’il y a auſſi des dégrez d’Aſſentiment depuis une peine Aſſûrance juſqu’à la conjecture, au doute, & à la défiance ; je vais conſiderer préſentement (après avoir trouvé, ſi je ne me trompe, les bornes de la Connoiſſance & de la Certitude humaine) quels ſont les différens dégrez & fondemens de la Probabilité, & de ce qu’on nomme Foi ou Aſſentiment.

§. 3.Parce qu’elle nous fait préſumer que les choſes ſont véritables, avant que nous connoiſſions qu’elles le ſoient. La Probabilité eſt la vraiſemblance qu’il y a qu’une choſe eſt véritable, ce terme même déſignant une Propoſition pour la confirmation de laquelle il y a des preuves propres à la faire paſſer ou recevoir pour véritable. La maniére dont l’Eſprit reçoit ces ſortes de propoſitions, eſt ce qu’on nomme croyance, aſſentiment ou opinion ; ce qui conſiſte à recevoir une Propoſition pour véritable ſur des preuves qui nous perſuadent actuellement de la recevoir comme véritable, ſans que nous ayions une connoiſſance certaine qu’elle le ſoit effectivement. Et la différence entre la Probabilité & la Certitude, entre la Foi & la Connoiſſance, conſiſte en ce que dans toutes les parties de la Connoiſſance, il y a intuition, de ſorte que châque Idée immédiate, chaque partie de la deduction a une liaiſon viſible & certaine, au lieu qu’à l’égard de ce qu’on nomme croyance, ce qui me fait croire, eſt quelque choſe d’étranger à ce que je croi, quelque choſe qui n’y eſt pas joint évidemment par les deux bouts, & qui par-là ne montre pas évidemment la convenance ou la disconvenance des Idées en queſtion.

§. 4.Il y a deux fondemens de probabilité : 1. la conformité d’une choſe avec notre expérience ou 2. le témoignage de l’expérience des autres. Ainſi, la Probabilité étant deſtinée à ſuppléer au défaut de notre