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de Principes innez. Liv. I.

tement à cette Propoſition, ou pour mieux dire, qu’il en apperçoit la vérité. Mais s’il y acquieſce ſi facilement alors, ce n’eſt point à cauſe que c’eſt une vérité innée. Et s’il avoit differé juſqu’à ce tems-là à y donner ſon conſentement, ce n’étoit pas non plus, à cauſe qu’il n’avoit point encore l’uſage de la Raiſon. Mais plûtôt, il reçoit cette Propoſition, parce qu’il reconnoît la vérité renfermée dans ces paroles, trois & quatre ſont égaux à ſept, dès qu’il a dans l’Eſprit les idées claires & diſtinctes qu’elles signifient. Par conſéquent, il connoît la vérité de cette Propoſition ſur les mêmes fondemens, & de la même maniére, qu’il ſavoit auparavant, que la Verge & une Ceriſe ne ſont pas la même choſe : & c’eſt encore ſur les mêmes fondemens qu’il peut venir à connoître dans la ſuite, Qu’il eſt impoſſible qu’une choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps, comme nous le ferons voir plus amplement ailleurs. De ſorte que plus tard on vient à connoître les idées générales dont ces Maximes ſont compoſées, ou à ſavoir la ſignification des termes généraux dont on ſe ſert pour les exprimer, ou à raſſembler dans ſon Eſprit les idées que ces termes repréſentent ; plus tard auſſi l’on donne ſon conſentement à ces Maximes, dont les termes auſſi bien que les idées qu’ils repréſentent, n’étant pas plus innez que ceux de Chat ou de Belette, il faut attendre que le temps & les reflexions que nous pouvons faire ſur ce qui ſe passe devant nos yeux, nous en donnent la connoiſſance : & c’eſt alors qu’on ſera capable de connoître la vérité de ces Maximes, dès la prémiére occaſion qu’on aura de joindre ces idées dans ſon Eſprit, & de remarquer ſi elles conviennent ou ne conviennent point enſemble, ſelon qu’elles ſont exprimées dans ces Propoſitions. D’où il s’enſuit qu’un homme ſait, que dix-huit & dix-neuf ſont égaux à trente-sept, avec la même évidence qu’il ſait qu’un & deux ſont égaux à trois, mais qu’un Enfant ne connoît pourtant pas la prémiére Propoſition ſi-tôt que la ſeconde ; ce qui ne vient pas de ce que l’uſage de la Raiſon lui manque, mais de ce qu’il n’a pas ſi-tôt formé les idées ſignifiées par les mots dix-huit, dix-neuf, & trente-sept, que celles qui ſont exprimées par les mots un, deux, & trois.

§. 17.De ce qu’on reçoit ces Maximes dès qu’elles ſont propoſées & conçuës, il ne s’enſuit pas qu’elles ſoient innées. La raiſon qu’on tire du conſentement général pour faire voir qu’il y a des véritez innées, ne pouvant point ſervir à le prouver, & ne mettant aucune différence entre les véritez qu’on ſuppoſe innées, & pluſieurs autres dont on acquiert la connoiſſance dans la ſuite, cette raiſon, dis-je, venant à manquer, les Défenſeurs de cette Hypotheſe ont prétendu conſerver aux Maximes qu’ils nomment innées, le privilége d’être reçuës d’un conſentement général, en ſoûtenant que, dès que ces Maximes ſont propoſées, & qu’on entend la ſignification des termes qui ſervent à les exprimer, on les adopte ſans peine. Voyant, dis-je, que tous les hommes, & même les Enfans, donnent leur conſentement à ces Propoſitions, auſſi-tôt qu’ils entendent & comprennent les mots dont on ſe ſert pour les exprimer, ils s’imaginent que cela ſuffit pour prouver que ces Propoſitions ſont innées. Comme les hommes ne manquent jamais de les reconnoître pour des veritez indubitables dès qu’ils en ont compris les termes, les Défenſeurs des idées innées voudroient conclurre de là, qu’il eſt évident que ces Propoſitions étoient auparavant imprimées dans l’Entendement, puis qu’à la prémiére