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Des Moyens d’augmenter notre Connoiſſance.Liv. IV.

néceſſaires pour ſuivre cette méthode nous oblige de prendre un tout autre chemin. Ici nous n’augmentons pas notre Connoiſſance comme dans les Modes (dont les Idées abſtraites ſont les Eſſences réelles auſſi bien que les nominales) en contemplant nos propres Idées, & en conſiderant leurs rapports & leurs correſpondances qui dans les Subſtances ne nous ſont pas d’un grand ſecours, par les raiſons que j’ai propoſées au long dans un autre endroit de cet Ouvrage. D’où il s’enſuit évidemment, à mon avis, que les Subſtances ne nous fourniſſent pas beaucoup de Connoiſſances générales, & que la ſimple contemplation de leurs Idées abſtraites ne nous conduira pas fort avant dans la recherche de la Vérité & de la Certitude. Que faut-il donc que nous faſſions pour augmenter notre Connoiſſance à l’égard des Etres ſubſtantiels ? Nous devons prendre ici une route directement contraire ; car n’ayant aucune idée de leurs eſſences réelles nous ſommes obligez de conſiderer les choſes mêmes telles qu’elles exiſtent, au lieu de conſulter nos propres penſées. L’Expérience doit m’inſtruire en cette occaſion de ce que la Raiſon ne ſauroit m’apprendre ; & ce n’eſt que par des expériences que je puis connoître certainement quelles autres Qualitez coëxiſtent avec celles de mon Idée complexe, ſi par exemple, ce Corps jaune, peſant, fuſible, que j’appelle Or, eſt malléable, ou non ; laquelle expérience de quelque maniére qu’elle réuſſiſſe ſur le Corps particulier que j’examine, ne me rend pas certain qu’il en eſt de même dans tout autre Corps jaune, peſant, fuſible, excepté celui ſur qui j’ai fait l’épreuve. Parce que ce n’eſt point une conſéquence qui découle, en aucune maniére, de mon Idée complexe ; la néceſſité ou l’incompatibilité de la malléabilité n’ayant aucune connexion viſible avec la combinaiſon de cette couleur, de cette peſanteur, de cette fuſibilité dans aucun Corps. Ce que je viens de dire ici de l’eſſence nominale de l’Or, en ſuppoſant qu’elle conſiſte en un Corps d’une telle couleur déterminée, d’une telle peſanteur & fuſibilité, ſe trouvera véritable, ſi l’on y ajoûte la malléabilité, la fixité, & la capacité d’être diſſous dans l’Eau Regale. Les Raiſonnemens que nous déduirons de ces Idées ne nous ſervirons pas beaucoup à découvrir certainement d'autres Propriétez dans les Maſſes de matiére où l’on peut trouver toutes celles-ci. Comme les autres propriétez de ces Corps ne dépendent point de ces derniéres, mais d’une eſſence réelle inconnuë, d’où celles-ci dépendent auſſi, nous ne pouvons point les découvrir par leur moyen. Nous ne ſaurions aller au delà de ce que les Idées ſimples de notre eſſence nominale peuvent nous faire connoître, ce qui n’eſt guere au delà d’elles-mêmes ; & par conſéquent, ces Idées ne peuvent nous fournir qu’un très-petit nombre de véritez certaines, univerſelles, & utiles. Car ayant trouvé par expérience que cette piéce particuliére de Matiére eſt malléable auſſi bien que toutes les autres de cette couleur, de cette peſanteur, & de cette fuſibilité, dont j’aye jamais fait l’épreuve, peut-être qu’à préſent la malleabilité fait auſſi une partie de mon Idée complexe, une partie de mon eſſence nominale de l’Or. Mais quoi que par-là je faſſe entrer dans mon idée complexe à