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Des Moyens d’augmenter notre Connoiſſance.Liv. IV.

pres & d’une ſignification conſtante. Et peut-être que par ce moyen, ſans nous faire aucun autre Principe que de conſiderer ces Idées, & de les comparer l’une avec l’autre, en trouvant leur convenance, leur diſconvenance, & leurs différens rapports, en ſuivant, dis-je, cette ſeule Règle, nous acquerrons plus de vrayes & claires connoiſſances qu’en épouſant certains Principes, & ne ſoûmettant ainſi notre Eſprit à la diſcretion d’autrui.

§. 7.La vraye méthode d’avancer la connoiſſance, c’eſt en conſiderant nos Idées abſtraites. C’eſt pourquoi, ſi nous voulons nous conduire en ceci ſelon les avis de la Raiſon, il faut que nous réglions la méthode que nous ſuivons dans nos recherches ſur les idées que nous examinons, & ſur la vérité que nous cherchons. Les véritez générales & certaines ne ſont fondées que ſur les rapports des Idées abſtraites. L’application de l’Eſprit, réglée par une bonne méthode, & accompagnée d’une grande pénétration qui lui faſſe trouver ces différens rapports, eſt le ſeul moyen de découvrir tout ce qui peut former avec vérité & avec certitude des Propoſitions générales ſur le ſujet de ces Idées. Et pour apprendre par quels dégrez on doit avancer dans cette recherche, il faut s’addreſſer aux Mathematiciens qui de commencemens fort clairs & fort faciles montent par de petits dégrez & par une enchainure continuée de raiſonnemens, à la découverte & à la démonſtration de Véritez qui paroiſſent d’abord au deſſus de la capacité humaine. L’Art de trouver des preuves, & ces méthodes admirables qu’ils ont inventées, pour démèler & mettre en ordre ces idées moyennes qui font voir démonſtrativement l’égalité ou l’inégalité des Quantitez qu’on ne peut joindre immédiatement enſemble, eſt ce qui a porté leurs connoiſſances ſi avant, & qui a produit des découvertes ſi étonnantes & ſi ineſperées. Mais de ſavoir ſi avec le temps on ne pourra point inventer quelque ſemblable Méthode à l’égard des autres idées, auſſi bien qu’à l’égard de celles qui appartiennent à la Grandeur, c’eſt ce que je ne veux point déterminer. Une choſe que je croi pouvoir aſſûrer, c’eſt que, ſi d’autres Idées qui ſont les eſſences réelles auſſi bien que les nominales de leurs Eſpèces, étoient examinées ſelon la méthode ordinaire aux Mathematiciens, elles conduiroient nos penſées plus loin & avec plus de clarté & d’évidence que nous ne ſommes peut-être portez à nous le figurer.

§. 8.Par cette méthode la Morale peut être portée à un plus grand degré d’évidence.
* §. 18. &c.
C’eſt ce qui m’a donné la hardieſſe d’avancer cette conjecture qu’on a vû dans le Chapitre III. * de ce dernier Livre, ſavoir, Que la Morale eſt auſſi capable de Démonſtration que les Mathematiques. Car les idées ſur qui roule la Morale, étant toutes des Eſſences réelles, & de telle nature qu’elles ont entr’elles, ſi je ne me trompe, une connexion & une convenance qu’on peut découvrir, il s’enſuit de là qu’auſſi avant que nous pourrons trouver les rapports de ces Idées, nous ſerons juſque-là en poſſeſſion d’autant de véritez certaines, réelles, & générales : & je ſuis ſûr qu’en ſuivant une bonne méthode on pourroit porter une grande partie de la Morale à un tel dégré d’évidence & de certitude, qu’un homme attentif, & judicieux n’y pourroit trouver non plus de ſujet de douter que dans les Propoſitions de Mathematique qui lui ont été démontrées.

§. 9.Pour la connoiſſance des Corps, on ne peut y faire des progrès que par l’Expérience. Mais dans la recherche que nous faiſons pour perfectionner la connoiſſance que nous pouvons avoir des Subſtances, le manque d’Idées