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De l’Exiſtence des autres Choſes. Liv. IV.

tions peuvent être univerſelles & certaines. Ainſi, ayant l’idée de Dieu & de moi-même, celle de crainte & d’obéiſſance, je ne puis qu’être aſſûré que je dois craindre Dieu & lui obéir : & cette Propoſition ſera certaine à l’égard de l’Homme en général, ſi j’ai formé une idée abſtraite d’une telle Eſpèce dont je ſuis un ſujet particulier. Mais quelque certaine que ſoit cette Propoſition, Les hommes doivent craindre Dieu & lui obéir, elle ne me prouve pourtant pas l’exiſtence des hommes dans le Monde ; mais elle ſera véritable à l’égard de toutes ces ſortes de Créatures dès qu’elles viennent à exiſter. La certitude de ces Propoſitions générales dépend de la convenance ou de la disconvenance qu’on peut découvrir dans ces Idées abſtraites.

§. 14.On peut connoitre auſſi des Propoſitions générales touchant les idées abſtraites. Dans le prémier cas, notre Connoiſſance eſt la conſéquence de l’exiſtence des Choſes qui produiſent des idées dans notre Eſprit & y produiſent ces Propoſitions générales & certaines. La plûpart d’entre elles portent le nom de véritez éternelles ; & en effet, elles le ſont toutes. Ce n’eſt pas qu’elles ſoient toutes ni aucunes d’elles gravées dans l’Ame de tous les hommes, ni qu’elles ayent été formées en Propoſitions dans l’Eſprit de qui que ce ſoit, juſqu’à ce qu’il ait acquis des idées abſtraites, & qu’il les ait jointes ou ſeparées par voye d’affirmation ou de negation : mais par tout où nous pouvons ſuppoſer une Créature telle que l’homme, enrichie de ces ſortes de facultez & par ce moyen fournie de telles ou telles idées que nous avons, nous devons conclurre que, lorsqu’il vient à appliquer ſes penſées à la conſideration de ſes Idées, il doit connoître néceſſairement la vérité de certaines Propoſitions qui découleront de la convenance ou de la disconvenance qu’il appercevra dans ſes propres Idées. C’eſt pourquoi ces Propoſitions ſont nommées véritez éternelles, non pas à cauſe que ce ſont des Propoſitions actuellement formées de toute éternité, & qui exiſtent avant l’Entendement qui les forme en aucun temps, ni parce qu’elles ſont gravées dans l’Eſprit d’après quelque modèle qui ſoit quelque part hors de l’Eſprit, & qui exiſtoit auparavant ; mais parce que ces Propoſitions étant une fois formées ſur des idées abſtraites, en ſorte qu’elles ſoient véritables, elles ne peuvent qu’être toûjours actuellement véritables, en quelques temps que ce ſoit, paſſé ou avenir, auquel on ſuppoſe qu’elles ſoient formées une autre fois par un Eſprit en qui ſe trouvent les Idées dont ces Propoſitions ſont compoſées. Car les noms étant ſuppoſez ſignifier toûjours les mêmes idées ; & les mêmes idées ayant conſtamment les mêmes rapports l’une avec l’autre, il eſt viſible que des Propoſitions qui étant formées ſur des Idées abſtraites, ſont une fois véritables, doivent être néceſſairement des véritez éternelles.