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De l’Exiſtence des autres Choſes. Liv. IV.

autre Figure, l’un eſt plus grand que l’autre, & que cependant il doutât de l’exiſtence des Lignes & des Angles qu’il regarde & dont il ſe ſert actuellement pour meſurer cela.

§. 7.IV. Nos Sens ſe rendent témoignage l’un à l’autre ſur l’exiſtence des Choſes extérieures. En quatriéme lieu, nos Sens en pluſieurs cas ſe rendent témoignage l’un à l’autre de la vérité de leurs rapports touchant l’exiſtence des choſes ſenſibles qui ſont hors de nous. Celui qui voit le feu, peut le ſentir, s’il doute que ce ne ſoit autre choſe ſimple imagination ; & il peut s’en convaincre en mettant dans le feu ſa propre main qui certainement ne pourroit jamais reſſentir une douleur ſi violente à l’occaſion d’une pure idée ou d’un ſimple phantôme ; à moins que cette douleur ne ſoit elle-même une imagination, qu’il ne pourroit pourtant pas rappeller dans ſon Eſprit, en ſe repréſentant l’idée de la brûlure après qu’elle eſt actuellement guérie.

Ainſi en écrivant ceci je vois que je puis changer les apparences du Papier, & en traçant des Lettres, dire d’avance quelle nouvelle Idée il préſentera à l’Eſprit dans le moment immédiatement ſuivant, par quelques traits que j’y ferai avec la plume ; mais j’aurai beau imaginer ces traits, ils ne paroîtront point, ſi ma main demeure en repos, ou ſi je ferme les yeux, en remuant ma main : & ces Caracteres une fois tracez ſur le Papier je puis plus éviter de les voir tels qu’ils ſont, c’eſt-à-dire, d’avoir les idées de telles & telles lettres que j’ai formées. D’où il s’enſuit viſiblement que ce n’eſt pas un ſimple jeu de mon Imagination, puiſque je trouve que les caractéres qui ont été tracez ſelon la fantaiſie de mon Eſprit, ne dépendent plus de cette fantaiſie, & ne ceſſent pas d’être, dès que je viens à me figurer qu’ils ne ſont plus ; mais qu’au contraire ils continuent d’affecter mes Sens conſtamment & réguliérement ſelon la figure que je leur ai donnée. Si nous ajoûtons à cela, que la vûë de ces caractéres fera prononcer à un autre homme les mêmes ſons que je m’étois propoſé auparavant de leur faire ſignifier, on n’aura pas grand’ raiſon de douter que ces Mots que j’écris, n’exiſtent réellement hors de moi, puisqu’ils produiſent cette longue ſuite de ſons réguliers dont mes oreilles ſont actuellement frappées, lesquels ne ſauroient être un effet de mon imagination, & que ma Mémoire ne pourroit jamais retenir dans cet ordre.

§. 8.Cette certitude eſt auſſi grande que notre état le requiert. Que ſi après tout cela, il ſe trouve quelqu’un qui ſoit aſſez Sceptique pour ſe défier de ſes propres Sens & pour affirmer, que tout ce que nous voyons, que nous entendons, que nous ſentons, que nous goutons, que nous penſons, & que nous faiſons pendant tout le temps que nous ſubſiſtons, n’eſt qu’une ſuite & une apparence trompeuſe d’un long ſonge qui n’a aucune réalité ; de ſorte qu’il veuille mettre en queſtion l’exiſtence de toutes choſes, ou la connoiſſance que nous pouvons avoir de quelques choſes que ce ſoit, je le prierai de conſiderer que, ſi tout n’eſt que ſonge, il ne fait lui-même que ſonger qu’il forme cette Queſtion, & qu’ainſi il n’importe pas beaucoup qu’un homme éveillé prenne la peine de lui répondre. Cependant, il pourra ſonger s’il veut, que je lui fais cette réponſe, Que la certitude de l’exiſtence des Choſes qui ſont dans la Nature, étant