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De l’Exiſtence des autres Choſes. Liv. IV.

titude qu’un homme a de ſa propre exiſtence & de celle de Dieu.

§. 3.Quoi que cela ne ſoit pas ſi certain que les Démonſtrations, il peut être appellé du nom de connoiſſance, & prouve l’exiſtence des choſes hors de nous. Quoi que la connoiſſance que nous avons, par le moyen de nos Sens, de l’exiſtence des choſes qui ſont hors de nous, ne ſoit pas tout-à-fait ſi certaine que notre Connoiſſance de ſimple vûë, ou que les concluſions que notre Raiſon déduit, en conſiderant les idées claires & abſtraites qui ſont dans notre Eſprit, c’eſt pourtant une certitude qui mérite le nom de Connoiſſance. Si nous ſommes une fois perſuadez que nos Facultez nous inſtruiſent comme il faut, touchant l’exiſtence des Objets par qui elles ſont affectées, cette aſſûrance ne ſauroit paſſer pour une confiance mal fondée ; car je ne croi pas que perſonne puiſſe être ſerieuſement ſi Sceptique que d’être incertain de l’exiſtence des choſes qu’il voit & qu’il ſent actuellement. Du moins, celui qui peut porter ſes doutes ſi avant, (quelles que ſoient d’ailleurs ſes propres penſées) n’aura jamais aucun differend avec moi, puiſqu’il ne peut jamais être aſſûré que je diſe quoi que ce ſoit contre ſon ſentiment. Pour ce qui eſt de moi, je croi que Dieu m’a donné une aſſez grande certitude de l’exiſtence des choſes qui ſont hors de moi, puiſqu’en les appliquant différemment je puis produire en moi du plaiſir & de la douleur, d’où dépend mon plus grand interêt dans l’état où je me trouve préſentement. Ce qu’il y a de certain c’eſt que la confiance où nous ſommes que nos Facultez ne nous trompent point en cette occaſion, fonde la plus grande aſſûrance dont nous ſoyions capables à l’égard de l’exiſtence des Etres materiels. Car nous ne pouvons rien faire que par le moyen de nos Facultez ; & nous ne ſaurions parler de la Connoiſſance elle-même, que par le ſecours des Facultez qui ſoient propres à comprendre ce que c’eſt que Connoiſſance. Mais outre l’aſſûrance que nos Sens eux-mêmes nous donnent, qu’ils ne ſe trompent point dans le rapport qu’ils nous font de l’exiſtence des choſes extérieures, par les impreſſions actuelles qu’ils en reçoivent, nous ſommes encore confirmez dans cette aſſûrance par d’autres raiſons qui concourent à l’établir.

§. 4.I. Parce que nous ne pouvons en avoir des Idées qu’à la faveur des Sens. Prémiérement, il eſt évident que ces Perceptions ſont produites en nous par des Cauſes extérieures qui affectent nos Sens ; parce que ceux qui ſont deſtituez des Organes d’un certain Sens, ne peuvent jamais faire que les Idées qui appartiennent à ce Sens, ſoient actuellement produites dans leur Eſprit. C’eſt une vérité ſi manifeſte, qu’on ne peut la revoquer en doute ; & par conſéquent, nous ne pouvons qu’être aſſûrez que ces Perceptions nous viennent dans l’Eſprit par les Organes de ce Sens, & non par aucune autre voye. Il eſt viſible que les Organes eux-mêmes ne les produiſent pas ; car ſi cela étoit, les yeux d’un homme produiroient des Couleurs dans les Ténèbres, & ſon nez ſentiroit des Roſes en hyver. Mais nous ne voyons pas que perſonne acquiére le goût des Ananas, avant qu’il aille aux Indes où ſe trouve cet excellent Fruit, & qu’il en goûte actuellement.

§. 5.II. Parce que deux idées dont l’une vient d’une ſenſation actuelle, & l’autre de la Mémoire, ſont des Perceptions fort diſtinctes. En ſecond lieu, ce qui prouve que ces Perceptions viennent d’une cauſe extérieure, c’eſt que j’éprouve quelquefois, que je ne ſaurois empêcher qu’elles ne ſoient produites dans mon Eſprit. Car encore que, lorſque j’ai les yeux fermez ou que je ſuis dans une Chambre obſcure, je puiſſe rappeller