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De l’Exiſtence de Dieu. Liv. IV.

une telle penſée : Quid enim verius, dit ce ſage Romain, quàm neminem eſſe oportet tàm ſiultè arrogantem, ut in ſe mentem & rationem putet ineſſe, in Cœlo Mundoque non putet ? Aut ut ea quæ vix ſumma ingenii ratione comprehendat, nulla rationa moveri putet ? « Certainement perſonne ne devroit être ſi ſottement orgueilleux que de s’imaginer qu’il y a au dedans de lui un Entendement & de la Raiſon, & que cependant il n’y a aucune Intelligence qui gouverne les Cieux & tout ce vaſte Univers ; ou de croire que des choſes que toute la pénétration de ſon Eſprit eſt à peine capable de lui faire comprendre, ſe meuvent au hazard, & ſans aucune règle. »

De ce que je viens de dire, il s’enſuit clairement, ce me ſemble, que nous avons une connoiſſance plus certaine de l’exiſtence de Dieu que de quelque autre choſe que ce ſoit que nos Sens ne nous ayent pas découvert immédiatement. Je croi même pouvoir dire que nous connoiſſons plus certainement qu’il y a un Dieu, que nous ne connoiſſons qu’il y a quelque autre choſe hors de nous. Quand je dis que nous connoiſſons, je veux dire que nous avons en notre pouvoir cette connoiſſance qui ne peut nous manquer, ſi nous nous y appliquons avec la même attention qu’à pluſieurs autres recherches.

§. 7.L’idée que nous avons d’un Etre tout parfait n’eſt pas la ſeule preuve de l’exiſtence d’un Dieu. Je n’examinerai point ici comment l’idée d’un Etre ſouverainement parfait qu’un homme peut ſe former dans ſon Eſprit, prouve ou ne prouve point l’exiſtence de Dieu. Car il y a une telle diverſité dans les temperamens des hommes & dans leur maniére de penſer, qu’à l’égard d’une même vérité dont on veut les convaincre, les uns ſont plus frappez d’une raiſon, & les autres d’une autre. Je croi pourtant être en droit de dire, que ce n’eſt pas un fort bon moyen d’établir l’exiſtence d’un Dieu & de fermer la bouche aux Athées que de faire rouler tout le fort d’un Article auſſi important que celui-là ſur ce ſeul pivot, & de prendre pour ſeule preuve de l’exiſtence de Dieu l’idée que quelques perſonnes ont de ce ſouverain Etre ; je dis quelques perſonnes ; car il eſt évident qu’il y a des gens qui n’ont aucune idée de Dieu, qu’il y en a d’autres qui en ont une telle idée qu’il vaudroit mieux qu’ils n’en euſſent point du tout, & que la plus grande partie en ont une idée telle quelle, ſi j’oſe me ſervir de cette expreſſion. C’eſt, dis-je, une méchante méthode que de s’attacher trop fortement à cette découverte favorite : juſques à rejetter toutes les autres Démonſtrations de l’exiſtence de Dieu, ou du moins à tâcher de les affoiblir, & à défendre de les employer comme ſi elles étoient foibles ou fauſſes ; quoi que dans le fond ce ſoient des preuves qui nous font voir ſi clairement & d’une maniére ſi convainquante l’Exiſtence de ce ſouverain Etre, par la conſideration de notre propre exiſtence & des Parties ſenſibles de l’Univers, que je ne penſe pas qu’un homme ſage y puiſſe réſiſter. Car il n’y a point, à ce que je croi, de vérité plus certaine & plus évidente que celle-ci, Que les perfections inviſibles de Dieu, ſa Puiſſance éternelle & la Divinité ſont devenuës viſibles depuis la création du Monde, par la connoiſſance que nous en donnent ſes Créatures. Mais bien que notre propre exiſtence nous fourniſſe une preuve claire & inconteſtable de l’exiſtence de Dieu, comme je l’ai déja montré ; & bien que je croye que perſonne ne puiſſe éviter de s’y rendre, ſi on