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De l’Exiſtence de Dieu. Liv. IV.


CHAPITRE X.

De la Connoiſſance que nous avons de l’Exiſtence de Dieu.


§. 1.Nous ſommes capables de connoitre certainement qu’il y a un Dieu.
QUoi que Dieu ne nous ait donné aucune idée de lui-même qui ſoit née avec nous ; quoi qu’il n’ait gravé dans nos Ames aucuns caractères originaux qui nous y puiſſent faire lire ſon exiſtence ; cependant on peut dire qu’en donnant à notre Eſprit les Facultez dont il eſt orné, il ne s’eſt pas laiſſé ſans témoignage ; puiſque nous avons des Sens, de l’Intelligence & de la Raiſon, & que nous ne pouvons manquer de preuves manifeſtes de ſon exiſtence, tandis que nous reflechiſſons ſur nous-mêmes. Nous ne ſaurions, dis-je, nous plaindre avec juſtice de notre ignorance ſur cet important article ; puiſque Dieu lui-même nous a fourni ſi abondamment les moyens de le connoître, autant qu’il eſt néceſſaire, à la fin pour laquelle nous exiſtons, & pour notre felicité qui eſt le plus grand de tous nos intérêts. Mais encore que l’exiſtence de Dieu ſoit la vérité la plus aiſée à découvrir par la Raiſon, & que ſon évidence égale, ſi je ne me trompe, celle des Démonſtrations Mathematiques, elle demande pourtant de l’attention ; & il faut que l’Eſprit s’applique à la tirer de quelque partie inconteſtable de nos Connoiſſances par une déduction reguliére. Sans quoi nous ſerons dans une auſſi grande incertitude & dans une auſſi grande ignorance à l’égard de cette vérité, qu’à l’égard des autres Propoſitions qui peuvent être démontrées évidemment. Du reſte, pour faire voir que nous ſommes capables de connoître, & de connoître avec certitude qu’il y a un Dieu, & pour montrer comment nous parvenons à cette connoiſſance, je croi que nous n’avons beſoin que de faire reflexion ſur nous-mêmes, & ſur la connoiſſance indubitable que nous avons de notre propre exiſtence.

§. 2.L’homme connoit qu’il eſt lui-même. C’eſt, je penſe, une choſe inconteſtable, que l’Homme connoît clairement & certainement, qu’il exiſte & qu’il eſt quelque choſe. S’il y a quelqu’un qui en puiſſe douter, je déclare que ce n’eſt pas à lui que je parle, non plus que je ne voudrois pas diſputer contre le pur Néant, & entreprendre de convaincre un Non-être qu’il eſt quelque choſe. Que ſi quelqu’un veut pouſſer le Pyrrhoniſme juſques à ce point que de nier ſa propre exiſtence (car d’en douter effectivement, il eſt clair qu’on ne ſauroit le faire) je ne m’oppoſe point au plaiſir qu’il a d’être un véritable néant ; qu’il jouïſſe de ce prétendu bonheur, juſqu’à ce que la faim ou quelque autre incommodité lui perſuade le contraire. Je croi donc pouvoir poſer cela comme le contraire. Je croi donc pouvoir poſer cela comme une vérité, dont tous les hommes ſont convaincus certainement en eux-mêmes, ſans avoir la liberté d’en douter en aucune maniére, Que chacun connoit, qu’il eſt quelque choſe qui exiſte actuellement.

§. 3.Il connoit auſſi que le Néant ne ſauroit auſſi produire quelque choſe. Donc il y a quelque choſe d’éternel. L’homme fait encore, par une Connoiſſance de ſimple vûë, que