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Des Propoſitions Frivoles. Liv. IV.

en ne faiſant que repaſſer ſouvent ſur la définition des termes qu’il a déja expliquez. Mais quelque certaines qu’elles ſoient, elles n’emportent point d’autre connoiſſance que celle de la ſignification même des Mots.

§. 6.Exemples. Homme & Palefroi. Eclairciſſons ceci par d’autres exemples : Chaque homme eſt un animal ou un Corps vivant, eſt une Propoſition auſſi certaine qu’il puiſſe y en avoir, mais qui ne contribuë pas plus à la connoiſſance des Choſes, que ſi l’on diſoit, Un Palefroi eſt un Cheval, ou un Animal qui va l’amble & qui hennit ; car ces deux Propoſitions roulent également ſur la ſignification des Mots, la prémiere ne me faiſant connoître autre choſe, ſinon que le Corps, le ſentiment & le mouvement, ou la puiſſance de ſentir & de ſe mouvoir, ſont trois idées que je comprens toûjours ſous le mot d’Homme, & que je déſigne par ce nom-là ; de ſorte que le nom d’Homme ne ſauroit appartenir aux choſes où ces Idées ne ſe trouvent point enſemble ; comme d’autre part quand on me dit qu’un Palefroi eſt un Animal qui va l’amble & qui hennit, on ne m’apprend par-là autre choſe, ſinon que l’idée de Corps, le ſentiment, & une certaine maniére d’aller avec une certaine eſpèce de voix ſont quelques-unes des Idées que je renferme toûjours ſous le terme de Palefroi, de ſorte que le nom de Palefroi n’appartient point aux choſes où ces Idées ne ſe trouvent point enſemble. Il en eſt juſtement de même, lorſqu’un terme concret qui ſignifie une ou pluſieurs idées ſimples qui compoſent enſemble l’Idée complexe qu’on déſigne par le nom d’Homme eſt affirmé du mot Homme : ſuppoſez par exemple qu’un Romain eût ſignifié par le mot Homo toutes ces idées diſtinctes unies dans un ſeul ſujet, copreitas, ſenſibilitas, potentia ſe movendi, rationabilitas, riſibilitas ; il auroit pu ſans doute affirmer très certainement, & univerſellement du mot Homo une ou pluſieurs de ces idées, ou toutes enſemble, mais par-là il n’auroit dit autre choſe, ſinon que dans ſon Païs le mot Homo comprenoit dans ſa ſignification toutes ces idées. De même un Chevalier de Roman qui par le mot de Palefroi ſignifieroit les idées ſuivantes, un Corps d’une certaine figure, qui a quatre jambes, du ſentiment & du mouvement, qui va l’amble, qui hennit, & eſt accoûtumé à porter une femme ſur ſon dos, pourroit avec autant de certitude affirmer univerſellement une de ces Idées du mot de Palefroi ou toutes enſemble, mais il ne nous enſeigneroit par-là autre choſe ſi ce n’eſt que le mot de Palefroi en termes de Roman ſignifie toutes ces Idées, & ne doit être appliqué à aucune choſe en qui l’une de ces idées ne ſe rencontre pas. Mais ſi quelqu’un me dit que tout Etre en qui le ſentiment, le mouvement, la Raiſon & le rire ſont unis enſemble, a actuellement une notion de Dieu, ou peut être aſſoupi par l’opium, une telle perſonne avance ſans doute une Propoſition inſtructive, parce qu’avoir une notion de Dieu ou être plongé dans le ſommeil par l’opium, étant deux choſes qui ne ſe trouvent pas renfermées dans l’idée que le mot d’Homme ſignifie, nous ſommes inſtruits, par ces Propoſitions, de quelque choſe de plus que de ce que le mot d’Homme ſignifie ſimplement ; & par conſéquent la connoiſſance que ces Propoſitions renferment, eſt plus que verbale.

§. 7.On n’apprend par-là que la ſignification des mots. On doit ſuppoſer qu’avant qu’un homme forme une Propoſition, il entend les termes dont elle eſt compoſée : autrement, il parle comme un Per-