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Des Axiomes. Liv. IV.

rité, & qui paſſent leur vie à étudier la Religion ou la Nature, ou qu’elle eût été admiſe dans des Seminaires établis pour enſeigner les Véritez de la Religion ou de la Philoſophie à ceux qui les ignorent entiérement ! Je n’examinerai point ici combien cette maniére d’inſtruire eſt propre à détourner l’Eſprit des Jeunes-gens de l’amour & d’une recherche ſincére de la Vérité, ou plûtôt, à les faire douter s’il y a effectivement quelque Vérité dans le Monde, ou du moins qui mérite qu’on s’y attache. Mais ce que je croi fortement, c’eſt qu’excepté les Lieux qui ont admis la Philoſophie Peripateticienne dans leurs Ecoles, où elle a regné pluſieurs ſiécles ſans enſeigner autre choſe au monde que l’art de diſputer, on n’a regardé nulle part ces Maximes, dont nous parlons préſentement, comme les fondemens des Sciences, & comme des ſecours importans pour avancer dans la Connoiſſance des choſes.

Ces Maximes générales ſont donc d’un grand uſage dans les Diſputes, comme j’ai déja dit, pour fermer la bouche aux Chicaneurs, mais elles ne contribuent pas beaucoup à la découverte des Véritez inconnuës, ou à fournir à l’Eſprit le moyen de faire de nouveaux progrès dans la recherche de la Vérité. Car qui eſt-ce, je vous prie, qui a commencé de fonder ſes connoiſſances ſur cette Propoſition générale, Ce qui eſt, eſt, ou, il eſt impoſſible qu’une choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps ? Qui eſt-ce qui ayant pris pour principe l’une ou l’autre de ces Maximes, en a déduit un Syſtême de Connoiſſances utiles ? L’une de ces Maximes peut fort bien ſervir comme pierre-de-touche, pour faire voir où aboutiſſent certaines fauſſes opinions qui renferment ſouvent de pures contradictions ; mais quelque propres qu’elles ſoient à dévoiler l’abſurdité ou la fauſſeté du raiſonnement ou de l’opinion particuliére d’un homme, elles ne ſauroient contribuer beaucoup à éclairer l’Entendement, & l’on ne trouvera pas que l’Eſprit en reçoive beaucoup de ſecours à l’égard du progrès qu’il fait dans la Connoiſſance des choſes ; progrès qui ne ſauroit ni plus ni moins certain, quand bien l’Eſprit n’auroit jamais penſé à ces deux Propoſitions générales. A la vérité, elles peuvent ſervir dans l’Argumentation, comme j’ai déja dit, pour réduire un Chicaneur au ſilence, en lui faiſant voir l’abſurdité de ce qu’il dit, & en l’expoſant à la honte de contredire ce que tout le monde voit, & dont il ne peut s’empêcher lui-même de reconnoître la vérité. Mais autre choſe eſt de montrer à un homme qu’il eſt dans l’erreur, & autre choſe de l’inſtruire de la Vérité. Et je voudrois bien ſavoir quelles véritez ces Propoſitions peuvent nous faire connoître par leur influence, que nous ne connuſſions pas auparavant, ou que nous ne puiſſions connoître ſans leur ſecours. Tirons-en toutes les conſéquences que nous pourrons ; ces conſéquences ſe réduiront toûjours à des Propoſitions purement ([1]) identiques ; & toute l’influence de ces Maximes, ſi elle en a au-

  1. C’eſt-à-dire, où une idée eſt affirmée d’elle-même. Comme le mot identique eſt tout-à-fait inconnu dans notre Langue, je me ſerois contenté d’en mettre l’explication dans le Texte, s’il ne fût rencontré que dans cet endroit. Mais parce que je ſerai bientôt indispenſablement obligé de me ſervir de ce terme, autant vaut-il que je l’employe préſentement. Le lecteur s’y accoûtumera plûtôt en le voyant plus ſouvent.