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de Principes innez. Liv. I.

Principes & Concluſions, tout ſera également inné : puis que toutes ces choſes ſont des découvertes qu’on fait par le moyen de la Raiſon, & que ce ſont des véritez qu’une Créature Raiſonnable peut connoître certainement ſi elle s’applique comme il faut à les rechercher.

§. 9.Il eſt faux que la Raiſon découvre ces Principes. Mais comment peut-on penſer, que l’uſage de la Raison ſoit néceſſaire pour découvrir des Principes qu’on ſuppoſe innez, puis que la Raiſon n’eſt autre choſe, (s’il en faut croire ceux contre qui je diſpute) que la Faculté de déduire de Principes déja connus, des véritez inconnuës ? Certainement, on ne pourra jamais regarder comme un Principe inné, ce qu’on ne ſauroit découvrir que par le moyen de la Raiſon, à moins qu’on ne reçoive, comme je l’ai déja dit, toutes les véritez certaines que la Raiſon peut nous faire connoître, pour autant de véritez innées. Nous ſerions auſſi bien fondez à dire, que l’uſage de la Raiſon eſt néceſſaire pour diſposer nos yeux à diſcerner les Objets viſibles, qu’à ſoûtenir que ce n’eſt que par la Raiſon ou l’uſage de la Raiſon que l’Entendement peut voir ce qui eſt originairement imprimé dans l’Entendement lui-même, & qui ne ſauroit y être avant qu’il l’apperçoive. De ſorte que de donner à la Raiſon la charge de découvrir des véritez, qui ſont imprimées dans l’Eſprit de cette maniére, c’eſt dire, que l’uſage de la Raiſon fait voir à l’Homme ce qu’il ſavoit déja : & par conſéquent l’Opinion de ceux qui oſent avancer que ces véritez ſont innées dans l’Eſprit des Hommes, qu’elles y ſont originairement empreintes avant l’uſage de la Raiſon, quoi que l’Homme les ignore conſtamment, juſqu’à ce qu’il vienne à faire uſage de ſa Raiſon, cette Opinion, dis-je, revient proprement à ceci, Que l’Homme connoît & ne connoît pas en même temps ces ſortes de veritez.

§. 10. On répliquera peut-être, que les Démonſtrations Mathematiques & plusieurs autres véritez qui ne ſont point innées, ne trouvent pas créance dans notre Eſprit, dès que nous les entendons propoſer, ce qui les diſtingue de ces Premiers Principes que nous venons de voir, & de toutes les autres véritez innées. J’aurai bientôt occaſion de parler d’une maniére plus préciſe du conſentement qu’on donne à certaines Propoſitions dès qu’on les entend prononcer. Je me contenterai de reconnoître ici franchement, que les Maximes qu’on nomme innées, & les Démonſtrations Mathematiques different en ce que celles-ci ont beſoin du ſecours de la Raiſon, qui les rende ſenſibles & nous les faſſe recevoir par le moyen de certaines preuves, au lieu que les Maximes qu’on veut faire paſſer pour Principes innez, ſont reconnuës pour véritables dès qu’on vient à les comprendre, ſans qu’on aît beſoin pour cela du moindre raiſonnement. Mais qu’il me ſoit permis en même temps de remarquer, que cela même fait voir clairement le peu de ſolidité qu’il y a à dire, comme font les Partiſans des Idées innées, que l’uſage de la Raison eſt néceſſaire pour découvrir ces véritez générales : puisqu’on doit avouër de bonne foi qu’il n’eſt beſoin d’aucun raiſonnement pour en reconnoître la certitude. Et en effet, je ne penſe pas que ceux qui ont recours à cette réponſe, oſent ſoûtenir par exemple, que la connoiſſance de cette Maxime, Il eſt impoſſible qu’une choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps, ſoit fondée ſur une conſéquence tirée par le ſecours de notre