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Des Axiomes. Liv. IV.

Humain ; c’eſt là ce qui l'aide le plus à étendre ſes lumieres & à perfectionner les Sciences, en quoi il ne reçoit abſolument aucun ſecours de la conſidération de ces Maximes ou autres ſemblables qu’on fait tant valoir dans les Ecoles. Que ſi ceux qui ont conçu, par tradition, une ſi haute eſtime pour ces ſortes de Propoſitions, qu’ils croyent qu’on ne peut faire un pas dans la Connoiſſance des choſes ſans le ſecours d’un Axiome, & qu’on ne peut poſer aucune pierre dans l’édifice des Sciences ſans une Maxime générale, ſi ces gens-là, dis-je, prenoient ſeulement la peine de diſtinguer entre le moyen d’acquerir la Connoiſſance, & celui de communiquer la connoiſſance qu’on a une fois acquiſe, entre la Méthode d’inventer une Science, & celle de l’enſeigner aux autres, autant qu’elle eſt connuë, ils verroient que ces Maximes générales ne ſont point les fondemens ſur leſquels les prémiers Inventeurs ont élevé ces admirables Edifices, ni les Clefs qui leur ont ouvert les ſecrets de la Connoiſſance. Quoi que dans la ſuite, après qu’on eut érigé des Ecoles & établi des Profeſſeurs pour enſeigner les Sciences que d’autres avoient déja inventées, ces Profeſſeurs ſe ſoient ſouvent ſervi de Maximes, c’eſt-à-dire, qu’ils ayent établi certaines Propoſitions évidentes par elles-mêmes, ou qu’on ne pouvoit éviter de recevoir pour véritables après les avoir examinées avec quelque attention ; de ſorte que les ayant une fois imprimées dans l’Eſprit de leurs Ecoliers comme autant de véritez inconteſtables, ils les ont employées dans l’occaſion pour convaincre ces Ecoliers de quelques véritez particuliéres qui ne leur étoient pas ſi familiéres que ces Axiomes généraux qui leur avoient été auparavant inculquez, & fixez ſoigneuſement dans l’Eſprit. Du reſte, ces exemples particuliers, conſiderez avec attention, ne paroiſſent pas moins évidens par eux-mêmes à l’Entendement, que ces Maximes générales qu’on propoſe pour les confirmer ; & c’eſt dans ces exemples particuliers que les prémiers Inventeurs ont trouvé la Vérité ſans le ſecours de ces Maximes générales ; & tout autre qui prendra la peine de les conſiderer attentivement, pourra faire encore la même choſe.

Pour venir donc à l’uſage qu’on fait de ces Maximes, prémiérement elles peuvent ſervir, dans la Méthode qu’on employe ordinairement pour enſeigner les Sciences, juſqu’où elles ont été avancées, mais elles ne ſervent que fort peu, ou rien du tout pour porter les Sciences plus avant.

En ſecond lieu, elles peuvent ſervir dans les Diſputes, à fermer la bouche à des Chicaneurs opiniâtres, & à terminer ces ſortes de conteſtations. Sur quoi je prie mes Lecteurs de m’accorder la liberté d’examiner ſi la néceſſité d’employer ces Maximes dans cette vûë, n’a pas été introduite de la maniére qu’on va voir. Les Ecoles ayant établi la Diſpute comme la pierre-de-touche de l’habileté des gens, & comme la preuve de leur Science, elles adjugeoient la victoire à celui à qui le champ de bataille demeuroit, & qui parloit le dernier, de ſorte qu’on en concluoit, que s’il n’avoit pas ſoûtenu le meilleur parti, il avoit eu du moins l’avantage de mieux argumenter. Mais parce que ſelon cette Méthode il pouvoit arriver que la Diſpute ne pourroit point être décidée entre deux Combattans également experts, tandis que l’un auroit toûjours un terme moyen pour prouver une certaine Pro-