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Des Axiomes. Liv. IV.

demens d’aucune Science. Je ſais bien que ſur la foi des Scholaſtiques, on parle beaucoup de Sciences, & des Maximes, ſur qui ces Sciences ſont fondées. Mais je n’ai point eu encore le bonheur de rencontrer quelqu’une de ces Sciences, & moins encore aucune qui ſoit bâtie ſur ces deux Maximes, Ce qui eſt, eſt, &, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps. Je ſerois fort aiſé qu’on me montrât où je pourrois trouver quelqu’une de ces Sciences bâties ſur ces Axiomes généraux, ou ſur quelque autre ſemblable ; & je ſeroi bien obligé à quiconque voudroit me faire voir le plan & le ſyſtême de quelque Science, fondée ſur ces Maximes ou ſur quelque autre de cet ordre ; dont on ne puiſſe pas voir qu’elle ſe ſoûtient auſſi bien ſans le ſecours de ces ſortes d’Axiomes. Je demande ſi ces Maximes générales ne peuvent point être du même uſage dans l’Etude de la Théologie & dans les Queſtions Théologiques, que dans les autres Sciences. Il eſt hors de doute qu’elles peuvent ſervir auſſi dans la Théologie à fermer la bouche aux Chicaneurs & à terminer les Diſputes ; mais je ne croi pourtant pas que Perſonne en veuille conclurre que la Religion Chrétienne eſt fondée ſur ces Maximes, ou que la Connoiſſance que nous en avons, découle de ces Principes. C’eſt de la Revelation que nous eſt venuë la connoiſſance de cette Sainte Religion ; & ſans le ſecours de la Revelation qui nous vient de la part de Dieu par la voix de la Raiſon, car dès-lors nous connoiſſons une vérité que nous ne connoiſſions pas auparavant. Quand Dieu nous enſeigne lui-même une vérité, c’eſt une Revelation qui nous eſt communiquée par la voix de ſon Eſprit, & dès-là notre Connoiſſance eſt augmentée. Mais dans l’un ou l’autre de ces cas ce n’eſt point de ces Maximes que notre Eſprit tire ſa lumiére ou ſa connoiſſance ; car dans l’un elle nous vient des choſes mêmes dont nous découvrons la vérité en appercevant leur convenance ou leur disconvenance ; & dans l’autre la Lumiére nous vient immédiatement de Dieu, dont l’infaillible Véracité, ſi j’oſe me ſervir de ce terme nous eſt une preuve évidente de la vérité de la vérité de ce qu’il dit.

III. En troiſiéme lieu, ces Maximes générales ne contribuent en rien à faire faire aux hommes des progrès dans les Sciences, ou des découvertes de véritez auparavant inconnuës. M. Newton a démontré dans ** Intitulé, Philoſophia Naturalis Mathematica. ſon Livre qu’on ne peut aſſez admirer, pluſieurs Propoſitions qui ſont tout autant de nouvelles véritez, inconnuës auparavant dans le Monde, & qui ont porté la connoiſſance des Mathematiques plus avant, qu’elle n’avoit été encore : mais ce n’eſt point en recourant à ces Maximes générales, Ce qui eſt, eſt, Le Tout eſt plus grand que ſa partie, & autres ſemblables, qu’il a fait ces belles découvertes. Ce n’eſt point, dis-je, par leur moyen qu’il eſt venu à connoître la vérité & la certitude de ces Propoſitions. Ce n’eſt pas non plus par leur ſecours qu’il en a trouvé les démonſtrations, mais en découvrant des Idées moyennes qui puſſent lui faire voir la convenance ou la diſconvenance des Idées telles qu’elles étoient exprimées dans les Propoſitions qu’il a démontrées. Voilà l’emploi le plus conſidérable de l’Entendement