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Des Axiomes. Liv. IV.

tant de Principes ; & ſi on les met au rang des Principes, il faudra y mettre auſſi une grande partie des Propoſitions qui regardent les Nombres. Si nous ajoûtons à cela toutes les Propoſitions évidentes par elles-mêmes qu’on peut former ſur toutes nos Idées diſtinctes, le nombre des Principes que les hommes viennent à connoître en différens âges, ſera preſque infini, ou du moins innombrable ; & il en faudra mettre dans ce rang quantité qui ne viennent jamais à leur connoiſſance durant tout le cours de leur vie. Mais que ces ſortes de véritez ſe préſentent à l’Eſprit, plûtôt, ou plus tard ; ce qu’on en peut dire véritablement, c’eſt qu’elles ſont très-connuës par leur propre évidence, qu’elles ſont entiérement indépendantes, & qu’elles ne reçoivent & ne ſont capables de recevoir les unes des autres aucune lumiére ni aucune preuve, & moins encore les plus particuliéres des plus générales, ou les plus ſimples des plus compoſées ; car les plus ſimples & les moins abſtraites ſont les plus familiéres & celles qu’on apperçoit plus aiſément & plûtôt. Mais quelles que ſoient les plus claires idées, voici en quoi conſiſte l’évidence & la certitude de toutes ces ſortes de Propoſitions, c’eſt en ce qu’un homme voit que la même idée eſt la même idée, & qu’il apperçoit infailliblement que deux différentes Idées ſont des Idées différentes. Car lorſqu’un homme a dans l’Eſprit les idées d’Un & de Deux, l’idée du Jaune & celle du Bleu, il ne peut que connoître certainement que l’idée d’Un eſt l’idée d’Un, & non celle de Deux ; & que l’idée du Jaune eſt l’idée du Jaune, & non celle du Bleu. Car un homme ne ſauroit confondre dans ſon Eſprit des idées qu’il y voit diſtinctes : ce ſeroit ſuppoſer ces idées confuſes & diſtinctes en même temps, ce qui eſt une parfaite contradiction ; & d’ailleurs n’avoir point d’idées diſtinctes, ce ſeroit être privé de l’uſage de nos Facultez, & n’avoir abſolument aucune connoiſſance. Par conſéquent, toutes les fois qu’une idée eſt affirmée d’elle-même, ou que deux Idées parfaitement diſtinctes ſont niées l’une de l’autre, l’Eſprit ne peut que donner ſon conſentement à une telle Propoſition, comme à une vérité infaillible, dès qu’il entend les termes dont elle eſt compoſée, il ne peut, dis-je, que la recevoir ſans héſiter le moins du monde, ſans avoir beſoin de preuve, ou penſer à ces Propoſitions compoſées de termes plus généraux, auxquelles on donne le nom de Maximes.

§. 11.De quel uſage ſont ces Maximes générales. Que dirons-nous donc de ces Maximes générales ? Sont-elles abſolument inutiles ? Nullement ; quoi que peut-être leur uſage ne ſoit pas tel qu’on s’imagine ordinairement. Mais parce que douter le moins du monde des privileges que certaines gens ont attribuez à ces Maximes, c’eſt une hardieſſe contre laquelle on pourroit ſe recrier, comme contre un attentat horrible qui ne va pas à moins qu’à renverſer toutes les Sciences, il ne ſera pas inutile de conſiderer ces Maximes par rapport aux autres parties de notre Connoiſſance, & d’examiner plus particuliérement qu’on n’a encore fait, à quoi elles ſervent, & à quoi elles ne ſauroient ſervir.

I. IL paroit évidemment par ce qui vient d’être dit, qu’elles ne ſont d’aucun uſage pour prouver, ou pour confirmer des Propoſitions plus particuliéres qui ſont évidentes par elles-mêmes.

II. Il n’eſt pas moins viſible qu’elles ne ſont ni n’ont jamais été les fon-