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Des Axiomes. Liv. IV.

gard de toutes les idées qu’un homme a dans l’Eſprit, comme chacun peut l’éprouver en ſoi-même. Il connoit que chaque Idée eſt cette même idée, & non une autre, & qu’elle eſt dans ſon Eſprit, & non hors de ſon Eſprit, lorſqu’elle y eſt actuellement ; il le connoit, dis-je, avec une certitude qui ne ſauroit être plus grande. D’où il s’enſuit qu’il n’y a point de Propoſition générale dont la vérité puiſſe être connuë avec plus de certitude, ni qui ſoit capable de rendre cette prémiére plus parfaite. Ainſi, notre Connoiſſance de ſimple vûë s’étend auſſi loin que nos Idées par rapport à l’Identité, & nous ſommes capables de former autant de Propoſitions évidentes par elles-mêmes, que nous avons de noms pour déſigner des idées diſtinctes ; ſur quoi j’en appelle à l’Eſprit de chacun en particulier, pour ſavoir ſi cette Propoſition, Un Cercle eſt un Cercle, n’eſt pas une Propoſition auſſi évidente par elle-même que celle-ci qui eſt compoſée de termes plus généraux, Tout ce qui eſt, eſt ; & encore, ſi cette Propoſition, le Bleu n’eſt pas le Rouge, n’eſt point une Propoſition dont l’Eſprit ne peut non plus douter, dès qu’il en comprend les termes, que de cet Axiome, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas : & ainſi de toutes les autres Propoſitions de cette eſpèce.

§. 5.II. Par rapport à la coëxiſtence, nous avons fort peu de Propoſitions évidentes par elles-mêmes. En ſecond lieu, pour ce qui eſt de la coëxiſtence, ou d’une connexion entre deux Idées, tellement néceſſaire, que dès que l’une eſt ſuppoſée dans un ſujet, l’autre doive l’être auſſi d’une maniére inévitable, l’Eſprit n’a pas une perception immédiate d’une telle convenance ou diſconvenance qu’à l’égard d’un très-petit nombre d’Idées. C’eſt pourquoi notre Connoiſſance intuitive ne s’étend pas fort loin ſur cet article ; & l’on ne peut former là-deſſus que très-peu de Propoſitions évidentes par elles-mêmes. Il y en a pourtant quelques-unes ; par exemple, l’idée de remplir un lieu égal au contenu de ſa ſurface, étant attachée à notre Idée du Corps, je croi que c’eſt une Propoſition évidente par elle-même, Que deux Corps ne ſauroient être dans le même lieu.

§. 6.III. Nous en pouvons avoir dans les autres Relations. Quant à la troiſiéme ſorte de convenance qui regarde les Relations des Modes, les Mathematiciens ont formé pluſieurs Axiomes ſur la ſeule relation d’Egalité, comme que ſi de choſes égales on en ôte des choſes égales, le reſte eſt égal. Mais encore que cette Propoſition & les autres du même genre ſoient reçuës par les Mathématiciens comme autant de Maximes, & que ce ſoient effectivement des Véritez inconteſtables ; je croi pourtant qu’en les conſiderant avec toute l’attention imaginable, on ne ſauroit trouver qu’elles ſoient plus clairement évidentes par elles-mêmes que celles-ci, Un & un ſont égaux à deux, ſi de cinq doigts d’une Main, vous en ôtez deux, & deux autres des cinq doigts de l’autre Main, le nombre des doigts qui reſtera ſera égal. Ces Propoſitions & mille autres ſemblables qu’on peut former ſur les Nombres, ſe font recevoir néceſſairement dès qu’on les entend pour la prémiére fois, & emportent avec elles une auſſi grande, pour ne pas dire une plus grande évidence que les Axiomes de Mathematique.

§. 7.IV. Touchant l’exiſtence réelle nous n’en avons aucune. En quatriéme lieu, à l’égard de l’exiſtence réelle, comme elle n’a de liaiſon avec aucune autre de nos Idées qu’avec celle de Nous-mêmes & du Prémier Etre, tant s’en faut que nous ayions ſur l’exiſtence réelle de tous