Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
489
Des Axiomes. Liv. IV.

à leur égard ; & nous ne pouvons éviter d’y donner notre conſentement, dès que nous les comprenons, c’eſt-à-dire, dès que nous avons dans l’Eſprit les idées déterminées qui ſont déſignées par les mots contenus dans la Propoſition. Et par conſéquent, toutes les fois que l’Eſprit vient à conſiderer attentivement une Propoſition, en ſorte qu’il apperçoive que les deux Idées qui ſont ſignifiées par les termes dont elle eſt compoſée, & affirmées ou niées l’une de l’autre, ne ſont qu’une même idée, ou ſont différentes, dès-là il eſt infailliblement certain de la vérité d’une telle Propoſition ; & cela également, ſoit que ces Propoſitions ſoient compoſées de termes qui ſignifient des idées plus ou moins générales ; par exemple, ſoit que l’idée générale de l’Etre ſoit affirmée d’elle-même, comme dans cette Propoſition, Tout ce qui eſt, eſt ; ou qu’une idée plus particuliére ſoit affirmée d’elle-même, comme Un homme eſt un homme, ou Ce qui eſt blanc, eſt blanc : ſoit que l’idée de l’Etre en général ſoit niée du Non-Etre, qui eſt (ſi j’oſe ainſi parler) la ſeule idée différente de l’Etre, comme dans cette autre Propoſition, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas ; ou que l’idée de quelque Être particulier ſoit niée d’une autre qui en eſt différente, comme, Un homme n’eſt pas un cheval, Le Rouge n’eſt pas Bleu. La différence des Idées fait voir auſſi-tôt la vérité de la Propoſition avec une entiére évidence, dès qu’on entend les termes dont on ſe ſert pour les déſigner, & cela avec autant de certitude & de facilité dans une Propoſition moins générale que dans celle qui l’eſt davantage ; le tout par la même raiſon, je veux dire à cauſe que l’Eſprit apperçoit dans toute idée qu’il a, qu’elle eſt la même avec elle-même, & que deux Idées différentes, ſont différentes & non les mêmes. Dequoi il eſt également certain, ſoit que ces Idées ſoient d’une plus petite ou d’une plus grande étenduë, plus ou moins générales, & plus ou moins abſtraites. Par conſéquent, le privilege d’être évident par ſoi-même n’appartient point uniquement, & par un droit particulier, à ces deux Propoſitions générales, Tout ce qui eſt, eſt, &, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas en même temps. La perception d’être, ou de n’être point, n’appartient pas plûtôt aux idées vagues, ſignifiées par ces termes, Tout ce qui, & choſe, qu’à quelque autre idée que ce ſoit. Car ces deux Maximes n’emportent dans le fond autre choſe ſinon que Le même eſt le même, ou que Ce qui eſt le même, n’eſt pas différent : véritez qu’on reconnoit auſſi bien dans des Exemples plus particuliers que dans ces Maximes générales, & qui tirent toute leur force de la Faculté que l’Eſprit a de diſcerner les idées particuliéres qu’il vient à conſiderer. En effet, il eſt tout viſible que l’Eſprit connoit & apperçoit, que l’idée du Blanc eſt l’idée du Blanc, & non celle du Bleu ; & que, lorſque l’idée du Blanc eſt dans l’Eſprit, elle y eſt & n’en eſt pas abſente, qu’il l’apperçoit, dis-je, ſi clairement & le connoit ſi certainement ſans le ſecours d’aucune preuve, ou ſans reflêchir ſur aucune de ces deux Propoſitions générales, que la conſideration de ces Axiomes ne peut rien ajoûter à l’évidence ou à la certitude de la connoiſſance qu’il a de ces choſes. Il en eſt juſtement de même à l’e-