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de leur Vérité, & de leur Certitude. Liv. IV.

gardent les Subſtances. La connoiſſance que nous avons de leurs Qualitez & de leurs Proprietez s’étend rarement au delà de ce que nos Sens peuvent nous apprendre. Peut-être que des gens curieux & appliquez à faire des Obſervations peuvent, par la force de leur Jugement, pénétrer plus avant, & par le moyen de quelques probabilitez déduites d’une obſervation exacte, & de quelques apparences réunies à propos, faire ſouvent de juſtes conjectures ſur ce que l’Expérience ne leur a pas encore découvert. Mais ce n’eſt toûjours que conjecturer, ce qui ne produit qu’une ſimple opinion, & n’eſt nullement accompagné de la certitude néceſſaire à une vraye connoiſſance ; car toute notre Connoiſſance générale eſt uniquement renfermée dans nos propres penſées, & ne conſiſte que dans la contemplation de nos propres Idées abſtraites. Par-tout où nous appercevons quelque convenance ou quelque diſconvenance entr’elles, nous y avons une connoiſſance générale ; de ſorte que formant des Propoſitions, ou joignant comme il faut les noms de ces Idées, nous pouvons prononcer des véritez générales avec certitude. Mais parce que dans les Idées abſtraites des Subſtances que leurs noms ſpécifiques ſignifient, lorſqu’ils ont une ſignification diſtincte & déterminée, on n’y peut découvrir de liaiſon ou d’incompatibilité qu’avec fort peu d’autres Idées ; la certitude des Propoſitions univerſelles qu’on peut faire ſur les Subſtances, eſt extrêmement bornée ſur leur ſujet ; & parmi les noms des Subſtances à peine y en a-t-il un ſeul (que l’idée qu’on lui attache ſoit ce qu’on voudra) dont nous puiſſions dire généralement & avec certitude qu’il renferme telle ou telle autre Qualité qui ait une coëxiſtence ou une incompatiblité conſtante avec cette Idée par-tout où elle ſe rencontre.

§. 14.Ce qui eſt néceſſaire pour que nous puiſſions connoître les Subſtances. Avant que nous puiſſions avoir une telle connoiſſance dans un dégré paſſable, nous devons ſavoir prémiérement quels ſont les changemens que les prémiéres Qualitez d’un Corps produiſent régulierment dans les prémiéres Qualitez d’un autre Corps, & comment ſe fait cette alteration. En ſecond lieu, nous devons ſavoir quelles prémiéres Qualitez d’un Corps produiſent certaines ſenſations ou idées en nous. Ce qui, à le bien prendre, ne ſignifie pas moins que connoître tous les effets de la Matiére ſous ſes diverſes modifications de groſſeur, de figure, de cohéſion de parties, de mouvement & de repos ; comme tout le monde en conviendra, ſi je ne me trompe. Et quand même une Revelation particuliére nous apprendroit quelle ſorte de figure, de groſſeur & de mouvement dans les parties inſenſibles d’un Corps devroit produire en nous la ſenſation de la Couleur jaune, & quelle eſpèce de figure, de groſſeur & de contexture de parties doit avoir la ſuperficie d’un Corps pour pouvoir donner à de tels corpuſcules le mouvement qu’il faut pour produire cette couleur, cela ſuffiroit-il pour former avec certitude des Propoſitions univerſelles touchant les différentes eſpèces de figure, de groſſeur, de mouvement, & de contexture, par où les particules inſenſibles des Corps produiſent en nous un nombre in-