Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
483
de leur Vérité, & de leur Certitude. Liv. IV.

ſe changer en une parfaite friabilité ; car je ne vois rien qui prouve le contraire. L’Eau dans laquelle la fluidité eſt par rapport à nous une Qualité eſſentielle, ceſſeroit d’être fluide, ſi elle étoit laiſſée à elle-même. Mais ſi les Corps inanimez dépendent ſi fort d’autres Corps extérieurs, par rapport à leur état préſent, en ſorte qu’ils ne ſeroient pas ce qu’ils nous paroiſſent être, ſi les Corps qui les environnent, étoient éloignez d’eux ; cette dépendance eſt encore plus grande à l’égard des Vegetaux qui ſont nourris, qui croiſſent, & qui produiſent des feuilles, des fleurs, & de la ſemence dans une conſtante ſucceſſion. Et ſi nous examinons de plus près l’état des Animaux, nous trouverons que leur dépendance par rapport à la vie, au Mouvement & aux plus conſidérables Qualitez qu’on peut obſerver en eux, roule ſi fort ſur des cauſes extérieures & ſur des Qualitez d’autres Corps qui n’en font point partie, qu’ils ne ſauroient ſubſiſter un moment ſans eux, quoi que pourtant ces Corps dont ils dépendent ne ſoient pas fort conſiderez en cette occaſion, & qu’ils ne faſſent point partie de l’Idée complexe que nous nous formons de ces Animaux. Otez l’Air à la plus grande partie des Créatures vivantes pendant une ſeule minute, & elles perdront auſſi-tôt le ſentiment, la vie & le mouvement. C’eſt dequoi la néceſſité de reſpirer nous a forcé de prendre connoiſſance. Mais combien y a-t-il d’autres Corps extérieurs, & peut-être plus éloignez, d’où dépendent les reſſorts de ces admirables Machines, quoi qu’on ne les remarque pas communément, & qu’on n’y faſſe même aucune reflexion, & combien y en a-t-il que la recherche la plus exacte ne ſauroit découvrir ? Les Habitans de cette petite Boule que nous nommons la Terre, quoi qu’éloignez du Soleil de tant de millions de lieuës, dépendent pourtant ſi fort du mouvement duëment temperé des Particules qui en-émanent & qui ſont agitées par la chaleur de cet Aſtre, que ſi cette Terre étoit transferée de la ſituation où elle ſe trouve préſentement à une petite parite de cette diſtance, de ſorte qu’elle fût placée un peu plus loin ou un peu plus près de cette ſource de chaleur, il eſt plus que probable que la plus grande partie des Animaux qui y ſont, périroient tout auſſi-tôt, puiſque nous les voyons mourrir ſi ſouvent par l’excès ou le défaut de la Chaleur du Soleil, à quoi une poſition accidentelle les expoſe dans quelques parties de ce petit Globe. Les Qualitez qu’on remarque dans une Pierre d’Aimant doivent néceſſairement avoir leur cauſe bien au delà des limites de ce Corps ; & la mortalité qui ſe répand ſouvent ſur différentes eſpèces d’Animaux par des Cauſes inviſibles, & la mort qui, à ce qu’on dit, arrive certainement à quelqu’un d’eux dès qu’ils viennent à paſſer la Ligne, ou à d’autres, comme on n’en peut douter, pour être transportez dans un Païs voiſin, tout cela montre évidemment que le concours & l’operation de divers Corps avec leſquels on croit rarement que ces Animaux ayent aucune relation, eſt abſolument néceſſaire pour faire qu’ils ſoient tels qu’ils nous paroiſſent, & pour conſerver ces Qualitez par où nous les connoiſſons & les diſtinguons. Nous nous trompons donc entierement, de croire que les Choſes renferment en elles-mêmes les Qualitez que nous y remarquons : & c’eſt en vain que nous cherchons dans le corps d’une Mouche ou d’un Elephant la conſtitution d’où dépendent les Qualitez & les