Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
de leur Vérité, & de leur Certitude. Liv. IV.

pas, ils ſont incapables d’introduire la certitude dans l’Entendement ; & nous ne ſaurions être aſſûrez de la vérité des Propoſitions générales, compoſées de ces ſortes de termes. La raiſon en eſt évidente. Car comment pouvons-nous être aſſûrez que telle ou telle Qualité eſt dans l’Or, tandis que nous ignorons ce qui eſt, ou n’eſt pas l’Or ; puiſque ſelon cette maniére de parler, rien n’eſt Or, que ce qui participe à une eſſence qui nous eſt inconnuë, & dont par conſéquent nous ne ſaurions dire, où c’eſt qu’elle eſt, ou n’eſt pas ; d’où il s’enſuit que nous ne pouvons jamais être aſſûrez à l’égard d’aucune partie de Matiére qui ſoit dans le Monde, qu’elle eſt, ou n’eſt pas Or en ce ſens-là ; par la raiſon qu’il nous eſt abſolument impoſſible de ſavoir, ſi elle a, ou n’a pas ce qui fait qu’une choſe eſt appellée Or, c’eſt-à-dire, cette eſſence réelle de l’Or dont nous n’avons abſolument aucune idée. Il nous eſt, dis-je, auſſi impoſſible de ſavoir cela, qu’il l’eſt à un Aveugle de dire en quelle Fleur ſe trouve ou ne ſe trouve point la Couleur de ** C’eſt le nom d’une Fleur assez connuë. Voyez le Dictionnaire de l’Académie Françoiſe. Penſée, tandis qu’il n’a abſolument aucune idée de la Couleur de Penſée. Ou bien, ſi nous pouvions ſavoir certainement (ce qui n’eſt pas poſſible) où eſt l’eſſence réelle que nous ne connoiſſons pas, dans quels amas de Matiére eſt, par exemple, l’eſſence réelle de l’Or, nous ne pourrions pourtant point être aſſûrez que telle ou telle Qualité pût être attribuée avec vérité à l’Or, puiſqu’il nous eſt impoſſible de connoître qu’une telle Qualité ou Idée ait une liaiſon néceſſaire avec une Eſſence réelle dont nous n’avons aucune idée, quelle que ſoit l’Eſpèce qu’on puiſſe imaginer que cette Eſſence qu’on ſuppoſe réelle, conſtituë effectivement.

§. 6.Il n’y a que peu de Propoſitions univerſelles ſur les Subſtances, dont la vérité ſoit connuë. D’autre part, quand les noms des Subſtances ſont employez, comme ils devroient toûjours l’être, pour déſigner les idées que les hommes ont dans l’Eſprit, quoi qu’ils ayent alors une ſignification claire & déterminée, ils ne ſervent pourtant pas encore à former pluſieurs Propoſitions univerſelles, de la vérité deſquelles nous puiſſions être aſſurez. Ce n’eſt pas à cauſe qu’en faiſant un tel uſage des mots, nous ſommes en peine de ſavoir quelles choſes ils ſignifient ; mais parce que les Idées complexes qu’ils ſignifient, ſont telles combinaiſons d’Idées ſimples qui n’emportent avec elles nulle connexion, ou incompatibilité viſible qu’avec très-peu d’autres Idées.

§. 7.Parce qu’on ne peut connoître qu’en peu de rencontre la coëxiſtence de leurs Idées.
* ſubſratum.
Les Idées complexes que les Noms que nous donnons aux Eſpèces des Subſtances, ſignifient, ſont des Collections de certaines Qualitez que nous avons remarqué coëxiſter dans un * ſoûtien inconnu que nous appellons Subſtance. Mais nous ne ſaurions connoître certainement quelles autres Qualitez coëxiſtent néceſſairement avec de telles combinaiſons ; à moins que nous ne puiſſions découvrir leur dépendance naturelle, dont nous ne ſaurions porter la connoiſſance fort avant à l’égard de leurs Prémiéres Qualitez. Et pour toutes leurs ſecondes Qualitez, nous n’y pouvons abſolument point découvrir de connexion pour les raiſons qu’on a vû dans le Chapitre III. de ce IV. Livre ; prémierement, parce que nous ne connoiſſons point les conſtitutions réelles des Subſtances, deſquelles dépend en particulier chaque ſeconde Qualité ; & en ſecond lieu, parce que ſuppoſé que cela nous fût connu, il ne pourroit nous ſervir que pour une connoiſſance experimentale, & non pour une connoiſſance univerſelle, ne pouvant s’étendre