Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
De la Réalité de notre Connoiſſance. Liv. IV.

amine la vérité & les propriétez qui appartiennent à un Rectangle ou à un Cercle, à les conſiderer ſeulement tels qu’ils ſont en idée dans ſon Eſprit ; car peut-être n’a-t-il jamais trouvé en ſa vie aucune de ces Figures, qui ſoient mathematiquement, c’eſt-à-dire, préciſément & exactement véritables. Ce qui n’empêche pourtant pas que la connoiſſance qu’il a de quelque vérité ou de quelque propriété que ce ſoit, qui appartienne au Cercle ou à toute autre Figure Mathematique, ne ſoit veritable & certaine, même à l’égard des choſes réellement exiſtantes, parce que les choſes réelles n’entrent dans ces ſortes de Propoſitions & n’y ſont conſiderées qu’autant qu’elles conviennent réellement avec les Archetypes qui ſont dans l’Eſprit du Mathematicien. Eſt-il vrai de l’idée du Triangle que ſes trois Angles ſont égaux à deux Droits ? La même choſe eſt auſſi véritable d’un Triangle, en quelque endroit qu’il exiſte réellement. Mais que toute autre Figure actuellement exiſtante, ne ſoit pas exactement conforme à l’idée du Triangle qu’il a dans l’Eſprit, elle n’a abſolument rien à démêler avec cette Propoſition. Et par conſéquent le Mathematicien voit certainement que toute ſa connoiſſance touchant ces ſortes d’Idées eſt réelle ; parce que ne conſiderant les choſes qu’autant qu’elles conviennent avec ces idées qu’il a dans l’Eſprit, il eſt aſſûré, que tout ce qu’il fait ſur ces Figures, lorſqu’elles n’ont qu’une exiſtence idéale dans ſon Eſprit, ſe trouvera auſſi véritable à l’égard de ces mêmes Figures ſi elles viennent à exiſter réellement dans la Matiére : ſes reflexions ne tombent ſur ces Figures, qui ſont les mêmes, où qu’elles exiſtent, & de quelque maniére qu’elles exiſtent.

§. 7.Et la réalité des connoiſſances Morales. Il s’enſuit de là que la connoiſſance des Véritez Morales eſt auſſi capable d’une certitude réelle que celle des Véritez Mathematiques, car la certitude n’étant que la perception de la convenance ou de la diſconvenance de nos Idées ; & la Démonſtration n’étant autre choſe que la perception de cette convenance par l’intervention d’autres idées moyennes ; comme nos Idées Morales ſont elles-mêmes des Archetypes auſſi bien que les Idées Mathematiques, & qu’ainſi ce ſont des idées complettes, toute la convenance ou la diſconvenance que nous découvrirons entr’elles produira une connoiſſance réelle, auſſi bien que dans les Figures Mathematiques.

§. 8.L’Exiſtence n’eſt pas requiſe pour rendre cette connoiſſance réelle. Pour parvenir à la Connoiſſance & à la certitude, il eſt néceſſaire que nous ayions des idées déterminées, & pour faire, que notre Connoiſſance ſoit réelle, il faut que nos Idées répondent à leurs Archetypes. Du reſte, l’on ne doit pas trouver étrange, que je place la certitude de notre Connoiſſance dans la conſideration de nos Idées, ſans me mettre fort en peine (à ce qui me ſemble) de l’exiſtence réelle des Choſes ; puiſqu’après y avoir bien penſé, l’on trouvera, ſi je ne me trompe, que la plûpart des Diſcours ſur leſquels roulent les Penſées & les Diſputes de ceux qui prétendent ne ſonger à autre choſe qu’à la recherche de la Vérité & de la Certitude, ne ſont effectivement que des Propoſitions générales & des notions auxquelles l’exiſtence n’a aucune part. Tous les Diſcours des Mathematiciens ſur la Quadrature du Cercle, ſur les Sections Coniques, ou ſur toute autre