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De la Réalité de notre Connoiſſance. Liv. IV.

§. 4.Et prémiérement, de ce nombre ſont toutes les idées ſimples. Les prémiéres ſont les Idées ſimples ; car puisque l’Eſprit ne ſauroit en aucune maniére ſe les former à lui-même, comme nous l’avons fait voir, il faut néceſſairement qu’elles ſoient produites par des choſes qui agiſſent naturellement ſur l’Eſprit & y font naître les perceptions auxquelles elles ſont appropriées par la ſageſſe & la volonté de Celui qui nous a faits. Il s’enſuit de là que les idées ſimples ne ſont pas des fictions de notre imagination, mais des productions naturelles & réguliéres de Choſes exiſtantes hors de nous, qui opérent réellement ſur nous ; & qu’ainſi elles ont toute la conformité à quoi elles ſont deſtinées, ou que notre état exige : car elles nous repréſentent les choſes ſous les apparences que les choſes ſont capables de produire en nous, par où nous devenons capables nous-mêmes de diſtinguer les Eſpèces des ſubſtances particuliéres, de diſcerner l’état ou elles ſe trouvent, & par ce moyen de les appliquer à notre uſage. Ainſi, l’idée de blancheur, ou d’amertume telle qu’elle eſt dans l’Eſprit étant exactement conforme à la Puiſſance qui eſt dans un Corps d’y produire une telle idée, à toute la conformité réelle qu’elle peut ou doit avoir avec les choſes qui exiſtent hors de nous. Et cette conformité qui ſe trouve entre nos idées ſimples & l’exiſtence des choſes, ſuffit pour nous donner une connoiſſance réelle.

§. 5.Secondement, toutes les Idées complexes, excepté celles des Subſtances. En ſecond lieu, toutes nos Idées complexes, excepté celles des Subſtances, étant des Archetypes que l’Eſprit a formez lui-même, qu’il n’a pas deſtiné à être des copies de quoi que ce ſoit, ni rapportez à l’exiſtence d’aucune choſe comme à leurs originaux, elles ne peuvent manquer d’avoir toute la conformité néceſſaire à une connoiſſance réelle. Car ce qui n’eſt pas deſtiné à repréſenter autre choſe que ſoi-même, ne peut être capable d’une fauſſe repréſentation, ni nous éloigner de la juſte conception d’aucune choſe par ſa diſſemblance d’avec elle. Or excepté les idées de Subſtances, telles ſont toutes nos idées complexes qui, comme j’ai fait voir ailleurs, ſont des combinaiſons d’Idées que l’Eſprit joint enſemble par un libre choix, ſans examiner ſi elles ont aucune liaiſon dans la Nature. De là vient que toutes les idées de cet Ordre ſont elles-mêmes conſiderées comme des Archetypes ; & les choſes ne ſont conſiderées qu’entant qu’elles y ſont conformes. De ſorte que nous ne pouvons qu’être infailliblement aſſûrez que toute notre Connoiſſance touchant ces idées eſt réelle, & s’étend aux choſes mêmes, parce que dans toutes nos Penſées, dans tous nos Raiſonnemens & dans tous nos Diſcours ſur ces ſortes d’Idées nous n’avons deſſein de conſiderer les choſes qu’autant qu’elles ſont conformes à nos Idées ; & par conſéquent nous ne pouvons manquer d’attraper ſur ce ſujet une réalité certaine & indubitable.

§. 6.C’eſt ſur cela qu’eſt fondée la réalité des Connoiſſances Mathématiques. Je ſuis aſſuré qu’on m’accordera ſans peine que la Connoiſſance que nous pouvons avoir des Véritez Mathematiques, n’eſt pas ſeulement une connoiſſance certaine, mais réelle, que ce ne ſont point de ſimples viſions, & des chimeres d’un cerveau fertile en imaginations frivoles. Cependant à bien conſiderer la choſe, nous trouverons que toute cette connoiſſance roule uniquement ſur nos propres idées. Le Mathematicien ex-