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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

liers ; afin que par là il puiſſe avancer ſans confuſion vers ce qui lui eſt encore inconnu, & avoir enfin devant lui, d’un coup d’œuil, le reſultat de toutes ſes perceptions & de tous ſes raiſonnemens.

§. 20.Moyens pour remedier à ces difficultez. Un moyen par où l’on peut beaucoup remedier à une partie de ces inconvéniens qui ſe rencontrent dans les Idées Morales & qui les ont fait regarder comme incapables de démonſtration, c’eſt d’expoſer, par des definitions, la collection d’idées ſimples que chaque terme doit ſignifier, & enſuite de faire ſervir les termes à déſigner préciſément & conſtamment cette collection d’idées. Du reſte, il n’eſt pas aiſé de prévoir quelles methodes peuvent être ſuggerées par l’Algebre ou par quelque autre moyen que, ſi les hommes vouloient s’appliquer à la recherche de Véritez morales ſelon la même méthode, & avec la même indifférence qu’ils cherchent les Véritez Mathématiques ; ils trouveroient que ces prémiéres ont une plus étroite liaiſon l’une avec l’autre, qu’elles découlent de nos idées claires & diſtinctes par des conſéquences plus néceſſaires, & qu’elles peuvent être démontrées d’une maniére plus parfaite qu’on ne croit communément. Mais il ne faut pas eſpérer qu’on s’applique beaucoup à de telles découvertes, tandis que le déſir de l’Eſtime, des Richeſſes ou de la Puiſſance portera les hommes à épouſer les opinions autoriſées par la Mode, & à chercher enſuite des Argumens ou pour les faire paſſer pour bonnes, ou pour les farder, & pour couvrir leur difformité, rien n’étant ſi agréable à l’Oeuil que la Vérité l’eſt à l’Eſprit, rien n’étant ſi difforme, ni ſi incompatible avec l’Entendement que le Menſonge. Car quoi qu’un homme puiſſe trouver aſſez de plaiſir à s’unir par le mariage avec une femme d’une beauté fort médiocre, perſonne n’eſt aſſez hardi pour avouër ouvertement qu’il a épouſé la Fauſſeté, & reçu dans ſon ſein une choſe auſſi affreuſe que le Menſonge. Mais pendant que les differens Partis font embraſſer leurs opinions à tous ceux qu’ils peuvent avoir en leur puiſſance, ſans leur permettre d’examiner ſi elles ſont fauſſes ou véritables, & qu’ils ne veulent pas laiſſer, pour ainſi dire, à la Vérité ſes coudées franches, ni aux hommes la liberté de la chercher, quels progrès peut-on attendre de ce côté-là, quelle nouvelle lumiére peut-on eſpérer dans les Sciences qui concernent la Morale ? Cette partie du Genre Humain qui eſt ſous le joug, devroit attendre, au lieu de cela, dans la plûpart des Lieux du Monde, les ténébres auſſi bien que l’eſclavage d’Egypte, ſi la Lumiére du Seigneur ne ſe trouvoit pas d’elle-même préſente à l’Eſprit humain, Lumiére ſacrée que tout le pouvoir des hommes ſauroit éteindre entiérement.

§. 21.IV. A l’égard de l’exiſtence réelle, nous avons une connoiſſance intuitive de notre Exiſtence, une démonſtrative de l’exiſtence de Dieu, & une connoiſſance ſenſitive de quelque peu d’autres choſes. Combien grande eſt notre Ignorance ? Quant à la quatriéme ſorte de Connoiſſance que nous avons, qui eſt de l’exiſtence réelle & actuelle des choſes, nous avons une connoiſſance intuitive de notre exiſtence, & une connoiſſance démonſtrative de l’exiſtence de Dieu. Pour l’exiſtence d’aucune autre ſorte nous n’en avons point d’autre qu’une connoiſſance ſenſitive qui ne s’étend point au delà des objets qui ſont préſens à nos Sens.

§. 22. Notre Connoiſſance étant reſſerrée dans des bornes ſi étroites, comme je l’ai montré ; pour mieux voir l’état préſent de notre Eſprit, il