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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

Lignum Nephriticum ? A cela je répons que ces Corps peuvent exciter dans le même temps des couleurs différentes dans des yeux diverſement placez ; mais auſſi j’oſe dire que ce ſont différentes parties de l’Objet, qui refléchiſſent les particules de lumiére vers des yeux diverſement placez ; de ſorte que ce n’eſt pas la même partie de l’Objet, ni par conſéquent le même ſujet qui paroit jaune & azur dans le même temps. Car il eſt auſſi impoſſible que dans le même temps une ſeule & même particule d’un Corps modifie ou reflêchiſſe différemment les rayons de lumiére, qu’il eſt impoſſible qu’elle ait différentes figures & deux différentes contextures dans le même temps.

§. 16.Celle de la coëxiſtence des Puiſſances ne s’étend pas fort avant. Pour ce qui eſt de la puiſſance qu’ont les Subſtances de changer les Qualitez ſenſibles des autres Corps, ce qui fait une grande partie de nos recherches ſur les Subſtances, & qui n’eſt pas une branche peu importante de nos Connoiſſances, je doute qu’à cet égard notre Connoiſſance s’étende plus loin que notre experience, ou que nous puiſſions découvrir la plûpart de ces Puiſſances & être aſſûrez qu’elles ſont dans un ſujet en vertu de la liaiſon qu’elles ont avec aucune des idées qui conſtituent ſon eſſence par rapport à nous. Car comme les Puiſſances actives & paſſives des Corps, & leurs maniéres d’operer conſiſtent dans une certaine contexture & un certain mouvement de parties que nous ne ſaurions découvrir en aucune maniére, ce n’eſt que dans fort peu de cas que nous pouvons être capables d’appercevoir comment elles dépendent de quelqu’une des idées qui conſtituent l’idée complexe que nous nous formons d’une telle eſpèce de choſes, ou comment elles leur ſont oppoſées. J’ai ſuivi en cette occaſion l’hypotheſe des Philoſophes ** Qui expliquent les effets de la Nature par la ſeule conſideration de la groſſeur, de la figure, & du mouvement des parties de la Matiere. Materialiſtes, comme celle qui nous peut conduire plus avant, à ce qu’on croit, dans l’explication intelligible des Qualitez des Corps : & je doute que l’Entendement humain, foible comme il eſt, puiſſe en ſubſtituer une autre qui nous donne une plus ample & plus nette connoiſſance de la connexion néceſſaire & de la coëxiſtence des Puiſſances qu’on peut obſerver unies en différentes ſortes des Corps. Ce qu’il y a de certain au moins, c’eſt que, quelle que ſoit l’hypotheſe la plus claire & la plus conforme à la vérité (car ce n’eſt pas mon affaire de déterminer cela préſentement) notre connoiſſance touchant les Subſtances corporelles ne ſera pas portée fort avant par aucune de ces hypotheſes, juſqu’à ce qu’on nous faſſe voir quelles Qualitez & quelles Puiſſances des Corps ont une liaiſon ou une oppoſition néceſſaire entr’elles ; ce que nous ne connoiſſons, à mon avis, que juſqu’à un très-petit dégré dans l’état où ſe trouve préſentement la Philoſophie. Et je doute qu’avec les facultez que nous avons, nous ſoyions jamais capables de porter plus avant ſur ce point, je ne dis pas l’expérience particuliére, mais nos Connoiſſances générales. C’eſt de l’Expérience que doivent dépendre toutes nos recherches en cette occaſion ; & il ſeroit à ſouhaiter qu’on y eût fait de plus grands progrès. Nous voyons tous les jours combien la peine que quelques perſonnes généreuſes ont