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De l’Etenduë de la Connoiſſance humaine. Liv. IV.

connoiſſons point la conſtitution réelle des petites particules d’où dépendent leurs ſecondes Qualitez, & que, ſi elle nous étoit connuë, nous ne ſaurions découvrir aucune liaison néceſſaire entre telle ou telle conſtitution des Corps & aucune de leurs ſecondes Qualitez, ce qu’il faudroit faire néceſſairement avant que de pouvoir connoître leur coëxiſtence néceſſaire. Et par conſéquent, quelle que ſoit notre idée complexe d’aucune eſpèce de Subſtances, à peine pouvons-nous déterminer certainement, en vertu des Idées ſimples qui y ſont renfermées, la coëxiſtence néceſſaire de quelque autre Qualité que ce ſoit. Dans toutes ces recherches notre Connoiſſance ne s’étend guere au delà de notre expérience. A la vérité, quelque peu de prémiéres Qualitez ont une dépendance néceſſaire à une viſible liaiſon entr’elles ; ainſi la figure ſuppoſe néceſſairement l’étenduë ; & la reception ou la communication du mouvement par voye d’impulſion ſuppoſe la ſolidité : Mais quoi qu’il y ait une telle dépendance entre ces idées, & peut-être entre quelques autres, il y en a pourtant ſi peu qui ayent une connexion viſible, que nous ne ſaurions découvrir par intuition ou par démonſtration que la coëxiſtence de fort peu de Qualitez qui ſe trouvent unies dans les Subſtances ; de ſorte que pour connoître quelles Qualitez ſont renfermées dans les Subſtances, il ne nous reſte que le ſimple ſecours des Sens. Car de toutes les Qualitez qui coëxiſte dans un ſujet ſans cette dépendance & cette évidente connexion de leurs idées, on n’en ſauroit remarquer deux dont on puiſſe connoître certainement qu’elles coëxiſtent, qu’entant que l’Expérience nous en aſſûre par le moyen de nos Sens. Ainſi, quoi que nous voyions la couleur jaune, & que nous trouvions, par expérience, la peſanteur, la malléabilité, la fuſibilité & la fixité, unies dans une pièce d’or ; cependant parce que nulle de ces Idées n’a aucune dépendance viſible, ou aucune liaiſon néceſſaire avec l’autre, nous ne ſaurions connoître certainement que là où ſe trouvent quatre de ces Idées, la cinquiéme y doive être auſſi, quelque probable qu’il ſoit qu’elle y eſt effectivement ; parce que la plus grande probabilité n’emporte jamais certitude, ſans laquelle il ne peut y avoir aucune véritable Connoiſſance. Car la connoiſſance de cette coëxiſtence ne peut s’étendre au delà de la perception qu’on en a, & dans les ſujets particuliers on ne peut appercevoir cette coëxiſtence que par le moyen des Sens, ou en général que par la connexion néceſſaire des Idées mêmes.

§. 15. La connoiſſance de l’incompatibilité des Idées dans un même ſujet, s’étend plus loin que celle de leur coëxiſtence. Quant à l’incompatibilité des idées dans un même ſujet, nous pouvons connoître qu’un ſujet ne ſauroit avoir, de chaque eſpèce de prémiéres Qualitez, qu’une ſeule à la fois. Par exemple, une étenduë particulière, une certaine figure, un certain nombre de parties, un mouvement particulier exclut toute autre étenduë, tout autre figure, toute autre mouvement & nombre de parties. Il en eſt certainement de même de toutes les idées ſenſibles particulières à chaque Sens ; car toute idée de chaque ſorte qui eſt préſente dans un ſujet, exclut toute autre figure, toute autre mouvement & nombre de parties. Il en eſt certainement de même de toutes les idées ſenſibles particuliéres à chaque Sens ; car toute idée de chaque ſorte qui eſt préſente dans un ſujet, exclut toute autre de cette eſpèce, par exemple, aucun ſujet ne peut avoir deux odeurs, ou deux couleurs dans un même temps. Mais, dira-t-on peut-être, ne voit-on pas dans le même temps deux couleurs dans une Opale, ou dans l’infuſion du Bois, nommé