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Des Dégrez de notre Connoiſſance. Liv. IV.

impulſion étant différente ſelon qu’elle eſt cauſée par la différente groſſeur, figure & mouvement des parties, produit en nous les différentes ſenſations que chacun éprouve en ſoi-même. Que ſi quelqu’un peut faire voir d’une maniére intelligible qu’il conçoit autrement la choſe, il me ſeroit plaiſir de m’en inſtruire.

§. 12. Ainſi, qu’il y ait des globules, ou non, & que ces globules par un certain pirouëttement autour de leur propre centre, produiſent en nous l’idée de la Blancheur ; ce qu’il y a de certain, c’eſt que plus il y a de particules de lumiére reflêchies d’un Corps diſpoſé à leur donner ce mouvement particulier qui produit la ſenſation de Blancheur en nous ; & peut-être auſſi, plus ce mouvement particulier eſt prompt, plus le Corps d’où le plus grand nombre de globules eſt refléchi, paroit blanc, comme on le voit évidemment dans une feuille de papier qu’on met aux rayons du Soleil, à l’ombre, ou dans un trou obſcur ; trois différens endroits où ce Papier produira en nous l’idée de trois dégrez de blancheur fort différens.

§. 13. Or comme nous ignorons combien il doit y avoir de particules & quel mouvement leur eſt néceſſaire, pour pouvoir produire un certain dégré de blancheur quel qu’il ſoit, nous ne ſaurions démontrer la juſte égalité de deux dégrez particuliers de blancheur, parce que nous n’avons aucune règle certaine pour les meſurer, ni aucun moyen pour diſtinguer chaque petite différence réelle, tout le ſecours que nous pouvons eſperer ſur cela venant de nos Sens qui ne ſont d’aucun uſage en cette occaſion. Mais lorſque la différence eſt ſi grande qu’elle excite dans l’Eſprit des idées clairement diſtinctes dont on peut retenir parfaitement des différences ; dans ce cas-là ces idées de Couleurs, comme on le voit dans leurs différentes eſpèces telles que le Bleu & le Rouge, ſont auſſi capables de démonſtration que les idées du Nombre & de l’Etenduë. Ce que je viens de dire de la Blancheur & des Couleurs, eſt, je penſe, également véritable à l’égard de toutes les ſecondes Qualitez & de leurs Modes.

§. 14.La Connoiſſance ſenſitive établit l’exiſtence des Etres particuliers. Voilà donc les deux dégrez de notre Connoiſſance, l’Intuition & la Démonſtration. Pour tout le reſte qui ne peut ſe rapporter à l’un des deux, avec quelque aſſûrance qu’on le reçoive, c’eſt foi ou opinion, & non pas connaiſſance, du moins à l’égard de toutes les véritez générales. Car l’Eſprit a encore une autre Perception qui regarde l’exiſtence particuliére des Etres finis hors de nous : Connoiſſance qui va au delà de la ſimple probabilité, mais qui n’a pourtant pas toute la certitude des deux dégrez de connoiſſance dont on vient de parler. Que l’idée que nous recevons d’un objet extérieur ſoit dans notre Eſprit, rien ne peut être plus certain, & c’eſt une connoiſſance intuitive. Mais de ſavoir s’il y a quelque choſe de plus que cette idée qui eſt dans notre Eſprit, & ſi de là nous pouvons inſerer certainement l’exiſtence d’aucune choſe hors de nous qui correſponde à cette idée, c’eſt ce que certaines gens croyent qu’on peut mettre en queſtion ; parce que les hommes peuvent avoir de telles idées dans leur Eſprit, lors que rien de tel n’exiſte actuellement, & que leurs Sens ne ſont affectez de nul objet qui correſponde à ces idées. Pour moi, je crois pourtant que dans ce cas-là nous avons un