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Des Dégrez de notre Connoiſſance. Liv. IV.

nir à la Démonſtration, qui par conſéquent n’eſt pas bornée aux ſeules idées d’Etenduë, de Figure, de Nombre, & de leurs Modes.

§. 10.Pourquoi on l’a ainſi crû. La raiſon pourquoi l’on n’a cherché la Démonſtration que dans ces derniéres Idées, & qu’on a ſuppoſé qu’elle ne ſe rencontroit point ailleurs, ç’a été, je croi, non ſeulement à cauſe que les Sciences qui ont pour objet ces ſortes d’Idées, ſont d’une utilité générale, mais encore parce que lorſqu’on compare l’égalité ou l’excès de différens nombres, la moindre différence de chaque Mode eſt fort claire & fort aiſée à reconnoître. Et quoi que dans l’Etenduë chaque moindre excès ne ſoit pas ſi perceptible, l’Eſprit a pourtant trouvé des moyens pour examiner & pour faire voir démonſtrativement la juſte égalité de deux Angles, ou de différentes Figures ou étenduës : & d’ailleurs, on peut décrire les Nombres & les Figures pour des marques viſibles & durables, par où les Idées qu’on conſidére ſont parfaitement déterminées, ce qu’elles ne ſont pas pour l’ordinaire, lorſqu’on n’employe que des noms & des mots pour les déſigner.

§. 11. Mais dans les autres idées ſimples dont on forme & dont on compte les Modes & les différences par des dégrez, & non par la quantité ; nous ne diſtinguons pas ſi exactement leurs différences, que nous puiſſions appercevoir ou trouver des moyens de meſurer leur juſte égalité, ou leurs plus petites différences : car comme ces autres Idées ſimples ſont des apparences ou des ſenſations produites en nous par la groſſeur, la figure, le nombre & le mouvement de petits Corpuſcules qui pris à part ſont abſolument imperceptibles, leurs différens dégrez dépendent auſſi de la variation de quelques-unes de ces Cauſes, ou de toutes enſemble ; de ſorte que ne pouvant obſerver cette variation dans les particules de Matiére dont chacune eſt trop ſubtile pour être apperçuë, il nous eſt impoſſible d’avoir aucunes meſures exactes des différens dégrez de ces Idées ſimples. Car ſuppoſé, par exemple, que la Senſation, ou l’idée que nous nommons Blancheur ſoit produite en nous par un certain nombre de Globules qui pirouëttans autour de leur propre centre, vont frapper la retine de L’Oeuil avec un certain dégré de tournoyement & de viteſſe progreſſive, il s’enſuivra aiſément de là que plus les parties qui compoſent la ſurface d’un Corps, ſont diſpoſées de telle maniére qu’elles reflêchiſſent un plus grand nombre de globule de lumiére, & leur donnent ce tournoyement particulier qui eſt propre à produire en nous la ſenſation du Blanc plus un Corps doit paroître blanc, lorſque d’un égal eſpace il pouſſe vers la retine un plus grand nombre de ces Globules avec cette eſpèce particuliére de mouvement. Je ne décide pas que la nature de la Lumiére conſiſte dans de petits globules, ni celle de la Blancheur dans une telle contexture de partie qui en reflechiſſant ces globules leur donne un certain pirouëttement, car je ne traite point ici en Phyſicien de la Lumiére ou des Couleurs ; mais ce que je croi pouvoir dire, c’eſt que ja ne ſaurois comprendre comment des Corps qui exiſtent hors de nous, peuvent affecter autrement nos Sens, que par le contact immédiat des Corps ſenſibles, comme dans le Goût & dans l’Attouchement, ou par le moyen de l’impulſion de quelques particules inſenſibles qui viennent des Corps, comme à l’égard de la Vuë de l’Ouïe, & de l’Odorat ; laquelle