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De la Connoiſſance en général. Liv. IV.

II. On dit, en ſecond lieu, qu’un homme connoit une Propoſition lorſque cette Propoſition ayant été une fois préſente à ſon Eſprit, il a apperçu évidemment la convenance ou la disconvenance des Idées dont elle eſt compoſée, & qu’il l’a placée de telle maniére dans ſa Mémoire, que toutes les fois qu’il vient à refléchir ſur cette Propoſition, il la voit par le bon côté ſans douter ni héſiter le moins du monde, l’approuve, & eſt aſſûré de la vérité qu’elle contient. C’eſt ce qu’on peut appeller, à mon avis, Connoiſſance habituelle. Suivant cela, l’on peut dire d’un homme, qu’il connoit toutes les véritez qui ſont dans ſa Mémoire en vertu d’une pleine & évidente perception qu’il en a eûë auparavant, & ſur laquelle l’Eſprit ſe repoſe hardiment ſans avoir le moindre doute, toutes les fois qu’il a occaſion de reflêchir ſur ces véritez. Car un Entendement auſſi borné que le nôtre, n’étant capable de penſer clairement & diſtinctement qu’à une ſeule choſe à la fois, ſi les hommes ne connoiſſent que ce qui eſt l’objet actuel de leurs penſées, ils ſeroient tous extrêmement ignorans ; & celui qui connoîtroit le plus, ne connoîtroit qu’une ſeule vérité, l’Eſprit de l’homme n’étant capable d’en conſiderer qu’une ſeule à la fois.

§. 9.Il y a une double connoiſſance habituelle. Il y a auſſi, vulgairement parlant, deux dégrez de connoiſſance habituelle.

I. L’une regarde ces Véritez miſes comme en reſerve dans la Mémoire qui ne ſe préſentent pas plûtôt à l’Eſprit qu’il voit le rapport qui eſt entre ces idées. Ce qui ſe rencontre dans toutes les Véritez dont nous avons une connoiſſance intuitive, où les idées mêmes font connoître par une vûë immédiate la convenance ou la disconvenance qu’il y a entre elles.

II. Le ſecond dégré de Connoiſſance habituelle appartient à ces Véritez, dont l’Eſprit ayant été une fois convaincu, il conſerve le ſouvenir de la conviction ſans en retenir les preuves. Ainſi, un homme qui ſe ſouvient certainement qu’il a vû une fois d’une maniére démonſtrative, Que les trois angles d’un Triangle ſont égaux à deux Droits, eſt aſſûré qu’il connoît la vérité de cette Propoſition, parce qu’il ne ſauroit en douter. Quoi qu’un homme puiſſe s’imaginer qu’en adherant ainſi à une vérité dont la Démonſtration qui la lui a fait prémiérement connoître, lui a échappé de l’Eſprit, il croit plûtôt ſa mémoire, qu’il ne connoit réellement la vérité en queſtion ; & quoi que cette maniére de retenir une vérité m’ait paru autrefois quelque choſe qui tient le milieu entre l’opinion & la connoiſſance, une eſpèce d’aſſûrance qui eſt au deſſus d’une ſimple croyance fondée ſur le témoignage d’autrui ; cependant je trouve après y avoir bien penſé, que cette connoiſſance renferme une parfaite certitude, & eſt en effet une véritable connoiſſance. Ce qui d’abord peut nous faire d’illuſion ſur ce ſujet, c’eſt que dans ce cas-là l’on n’apperçoit pas la convenance ou la diſconvenance des Idées comme on avoit fait la prémiére fois, par une vûë actuelle de toutes les Idées intermédiates par le moyen deſquelles la convenance ou la diſconvenance des idées contenuës dans la Propoſition avoit été apperçuë la prémiére fois, mais par d’autres idées moyennes qui font voir la convenance ou la diſconvenance des Idées renfermées dans la Propoſition dont la certitude nous eſt connuë par voye de reminiſcence. Par exemple,