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De la Connoiſſance en général. Liv. IV.

ſommes fortement convaincus en nous-mêmes, Que les trois Angles d’un triangle sont égaux à deux Droits, nous ne faiſons autre choſe qu’appercevoir que l’égalité à deux Angles droits convient neceſſairement avec les trois Angles d’un Triangle, & qu’elle en eſt entiérement inſeparable.

§. 3.Cette convenance eſt de quatre eſpèces. Mais pour voir un peu plus diſtinctement en quoi conſiſte cette convenance ou diſconvenance, je croi qu’on peut la réduire à ces quatre Eſpèces.

1. Identité ou Diverſité.

2. Relation.

3. Coëxiſtence, ou connexion néceſſaire.

4. Exiſtence réelle.

§. 4.La premiére eſt de l’Identité ou de la Diverſité. Et pour ce qui eſt de la prémiére eſpèce de convenance ou de diſconvenance, qui eſt l’Identité ou la Diverſité ; le prémier & le principal acte de l’Eſprit, lorſqu’il a quelque ſentiment ou quelque idée, c’eſt d’appercevoir les idées qu’il a, & autant qu’il les apperçoit, de voir ce que chacune eſt en elle-même, & par-là d’appercevoir auſſi leur différence, & comment l’une n’eſt pas l’autre. C’eſt une choſe ſi fort néceſſaire, que ſans cela l’Eſprit ne pourroit ni connoître, ni imaginer, ni raiſonner, ni avoir abſolument aucune penſée diſtincte. C’eſt par-là, dis-je, qu’il apperçoit clairement & d’une maniére infaillible que chaque idée convient avec elle-même, & qu’elle eſt ce qu’elle eſt ; & qu’au contraire toutes les idées diſtinctes diſconviennent entre elles, c’eſt-à-dire, que l’une n’eſt pas l’autre : ce qu’il voit ſans peine, ſans effort, ſans faire aucune déduction, mais dès la prémiére vûë, par la puiſſance naturelle qu’il a d’appercevoir & de diſtinguer les choſes. Quoi que les Logiciens ayent réduit cela à ces deux Règles générales, Ce qui eſt, & il eſt impoſſible qu’une même choſe fait & ne fait pas en même temps, afin de les pourvoir promptement appliquer à tous les cas où l’on peut avoir ſujet d’y faire reflexion, il eſt pourtant certain que c’eſt ſur des idées particulières que cette faculté commence de s’exercer. Un homme n’a pas plûtôt dans l’Eſprit les idées qu’il nomme blanc & rond, qu’il connoit infailliblement que ce ſont les idées qu’elles ſont véritablement, & non d’autres idées qu’il appelle rouge ou quarré. Et il n’y a aucune Maxime ou Propoſition dans le Monde qui puiſſe le lui faire connoître plus nettement ou plus certainement qu’il ne faiſoit auparavant ſans le ſecours d’aucune Règle générale. C’eſt donc là la prémiére convenance ou diſconvenance que l’Eſprit apperçoit toûjours dès la prémiére vûë. Que ſur les noms & non ſur les idées mêmes, deſquelles on appercevra toûjours l’Identité & la Diverſité, auſſi-tôt & auſſi clairement que les idées mêmes. Cela ne ſauroit être autrement.

§. 5.La ſeconde peut être appelée Relative. La ſeconde ſorte de convenance ou de diſconvenance que l’Eſprit apperçoit dans quelqu’une de ſes idées, peut être appellée Relative ; & ce n’eſt autre choſe que la perception du rapport qui eſt entre deux Idées, de quelque eſpèce qu’elles ſoient, Subſtances, Modes, ou autres. Car puiſque toutes les Idées diſtinctes doivent être éternellement reconnuës pour n’être