nature, & à rejetter les thréſors dont leurs mains ſont pleines, ſous prétexte qu’il y a des choſes qu’elles ne ſauroient embraſſer. Jamais, dis-je, nous n’aurons ſujet de nous plaindre du peu d’étenduë de nos connoiſſances, ſi nous appliquons uniquement notre Eſprit à ce qui peut nous être utile, car en ce cas-là il peut nous rendre de grands ſervices. Mais ſi, loin d’en uſer de la ſorte, nous venons à ravaler l’excellence de cette Faculté que nous avons d’acquerir certaines connoiſſances, & à négliger de la perfectionner par rapport au but pour lequel elle nous a été donnée, ſous prétexte qu’il y a des choſes qui ſont au delà de ſa ſphère, c’eſt un chagrin pueril, & tout-à-fait inexcuſable. Car, je vous prie, un Valet pareſſeux & revêche qui pouvant travailler de nuit à la chandelle, n’auroit pas voulu le faire, auroit-il bonne grace de dire pour excuſe que le Soleil n’étant pas levé, il n’avoit pas pû jouïr de l’éclatante lumiere de cet Aſtre ? Il en eſt de même à notre égard, ſi nous négligeons de nous ſervir des lumieres que Dieu nous a données. Notre Eſprit eſt ** Prov. XX. 27. comme une Chandelle que nous avons devant les yeux, & qui répand aſſez de lumiere pour nous éclairer dans toutes nos affaires. Nous devons être ſatisfaits des découvertes que nous pouvons faire à la faveur de cette lumiere. Nous ferons toûjours un bon uſage de notre Entendement, ſi nous conſiderons tous les Objets par rapport à la proportion qu’ils ont avec nos Facultez, pleinement convaincus que ce n’eſt que ſur ce pié-là que la connoiſſance peut nous en être propoſée ; & ſi, au lieu de demander abſolument, & par un excès de délicateſſe, une Démonſtration & une certitude entiere, nous nous contentons d’une ſimple probabilité, lors que nous ne pouvons obtenir qu’une probabilité, & que ce degré de connoiſſance ſuffit pour régler tous nos intérêts dans ce Monde. Que ſi nous voulons douter de chaque choſe en particulier, parce que nous ne pouvons pas les connoître toutes avec certitude, nous ferons auſſi déraiſonnables qu’un homme qui ne voudroit pas ſe ſervir de ſes jambes pour ſe tirer d’un lieu dangereux, mais s’opiniâtreroit à y demeurer & y périr miſerablement, ſous prétexte qu’il n’auroit pas des aîles pour échapper avec plus de vîteſſe.
§. 6.La connoiſſance des forces de notre Eſprit ſuffit pour guérir du Scepticiſme, & de la négligence où l’on s’abandonne lors qu’on doute de pouvoir trouver la Vérité. Si nous connoiſſons une fois nos propres forces, cette connoiſſance ſervira à nous faire d’autant mieux ſentir ce que nous pouvons entreprendre avec fondement ; & lors que nous aurons examiné ſoigneusement ce que notre Eſprit eſt capable de faire, & que nous aurons vû, en quelque maniére, ce que nous en pouvons attendre, nous ne ſerons portez ni à demeurer dans une lâche oiſiveté, & dans une entiére inaction, comme ſi nous deſeſperions de jamais connoître quoi que ce ſoit, ni à mettre tout en queſtion, & à décrier toute ſorte de connoiſſances, ſous prétexte qu’il y a certaines choſes que l’Eſprit Humain ne ſauroit comprendre. Il en eſt de nous, à cet égard, comme d’un Pilote qui voyage sur mer. Il lui eſt extremement avantageux de ſavoir quelle eſt la longueur du cordeau de la ſonde, quoi qu’il ne puiſſe pas toûjours reconnoître, par le moyen de ſa ſonde, toutes les différentes profondeurs de l’Océan. Il ſuffit qu’il ſache, que le cordeau eſt aſſez long pour trouver fond en certains endroits de la Mer qu’il lui importe de connoître pour bien diriger ſa courſe, & pour é-