uns. Que ſi cela n’eſt point ainſi, je ne vois pas comment on peut excuſer de meurtre ceux qui mettent à mort des productions monſtrueuſes (comme on a accoûtumé de les nommer) à cauſe de leur forme extraordinaire, ſans connoître ſi elles ont une Ame raiſonnable ou non ; ce qui ne ſe peut non plus connoître dans un Enfant bien formé que dans un Enfant contrefait, lorſqu’ils ne font que de naître. Et qui nous a appris qu’une Ame raiſonnable ne ſauroit habiter dans un Logis qui n’a pas juſtement une telle ſorte de frontiſpice, ou qu’elle ne peut s’unir à une Eſpèce de Corps qui n’a pas préciſément une telle configuration extérieure ?
§. 21. Or le meilleur moyen de faire connoître ces qualitez caractériſtiques, c’eſt de montrer le Corps où elles ſe trouvent ; & à grand’ peine pourroit-on les faire connoître autrement. Car la figure d’un Cheval ou d’un Caſſiowary ne peut être empreinte dans l’Eſprit par des paroles, que d’une maniére fort groſſiére & fort imparfaite. Cela ſe fait cent fois mieux en voyant ces Animaux. De même, on ne peut acquerir l’idée de la couleur particuliére de l’Or par aucune deſcription, mais ſeulement par une fréquente habitude que les yeux ſe font de conſiderer cette couleur, comme on le voit évidemment dans ces perſonnes accoûtumées à examiner ce Metal, qui diſtinguent ſouvent par la vûë le véritable Or d’avec le faux, le pur d’avec celui qui eſt falſifié, tandis que d’autres qui ont d’auſſi bons yeux, mais qui n’ont pas acquis, par uſage, l’idée préciſe de cette couleur particuliére, n’y remarqueront aucune différence. On peut dire la même choſe des autres idées ſimples, particuliéres en leur eſpèce à une certaine Subſtance auxquelles idées préciſes on n’a point donné de noms particuliers. Ainſi, le ſon particulier qu’on remarque dans l’or, & qui eſt diſtinct du ſon des autres Corps, n’a été déſigné par aucun nom particulier, non plus que la couleur jaune qui appartient à ce Metal.
§. 22.On acquiert mieux les idées de leurs puiſſances par des definitions. Mais parce que la plûpart des Idées ſimples qui compoſent nos Idées ſpécifiques des Subſtances, ſont des Puiſſances qui ne ſont pas préſentes à nos Sens dans les choſes conſiderées ſelon qu’elles paroiſſent ordinairement, il s’enſuit de là que dans les noms des Subſtances l’on peut mieux donner à connoître une partie de leur ſignification en faiſant une énumeration de ces idées ſimples qu’en montrant la Subſtance même. Car celui qui outre ce jaune brillant qu’il a remarqué dans l’Or par le moyen de la vûë, acquerra les idées d’une grande ductilité, de fuſibilité, de fixité, & de capacité d’être diſſous dans l’Eau Regale, en conſéquence de l’énumération que je lui en ferai, aura une idée plus parfaite de l’Or, qu’il ne peut avoir en voyant une piéce d’or, par où il ne peut recevoir dans l’Eſprit que la ſeule empreinte des qualitez les plus ordinaires de l’Or. Mais ſi la conſtitution formelle de cette Choſe brillante, peſante, ductile, &c. d’où découlent toutes ces propriétez, paroiſſoit à nos Sens d’une maniére auſſi diſtincte que nous voyons la conſtitution formelle ou l’eſſence d’un Triangle, la ſignification du mot Or pourroit être auſſi aiſément déterminée que celle d’un Triangle.