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& l’Abus des Mots. Liv. III.

§. 18.Et c’eſt le ſeul moyen. Une autre raiſon qui rend la définition des Modes mixtes ſi néceſſaire, & ſur-tout celle des mots qui appartiennent à la Morale, c’eſt ce que je viens de dire en paſſant, que c’eſt la ſeule voye par où l’on puiſſe connoître certainement la plûpart de ces mots. Car la plus grande partie des idées qu’ils ſignifient, étant de telle nature qu’elles n’exiſtent nulle part enſemble, mais ſont diſperſées & mêlées avec d’autres, c’eſt l’Eſprit ſeul qui les aſſemble & les réunit en une ſeule idée : & ce n’eſt que par le moyen des paroles que venant à faire l’énumération des différentes idées ſimples que l’Eſprit a jointes enſemble, nous pouvons faire connoître aux autres ce qu’emportent les noms de ces Modes mixtes, car les Sens ne peuvent en ce cas-là nous être d’aucun ſecours en nous préſentant des objets ſenſibles, pour nous montrer les idées que les noms de ces Modes ſignifient, comme ils le font ſouvent à l’égard des noms des idées ſimples qui ſont ſenſibles, & à l’égard des noms des Subſtances juſqu’à un certain dégré.

§. 19.3. A l’égard des Subſtances le moyen de faire connoître en quel ſens on prend leurs noms, c’eſt de montrer la Choſe & de définir le nom. Pour ce qui eſt, en troiſiéme lieu, des moyens d’expliquer la ſignification des noms des Subſtances, entant qu’ils ſignifient les idées que nous avons de leurs Eſpèces diſtinctes, il faut, en pluſieurs rencontres, recourir néceſſairement aux deux voyes dont nous venons de parler, qui eſt de montrer la choſe qu’on veut connoître, & de définir les noms qu’on employe pour l’exprimer. Car comme il y a ordinairement en chaque ſorte de Subſtances quelques Qualitez directrices, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, auxquelles nous ſuppoſons que les autres idées qui compoſent notre idée complexe de cette Eſpèce, ſont attachées, nous donnons hardiment le nom ſpécifique à la choſe dans laquelle ſe trouve cette marque caracteriſtique que nous regardons comme l’idée la plus diſtinctive de cette Eſpèce. Ces Qualitez directrices, ou, pour ainſi dire, caractériſtiques, ſont pour l’ordinaire dans les differentes Eſpèces d’Animaux & de Vegetaux la figure, comme ** Liv. III. Ch. VI. §. 29. Chap. IX. §. 35. nous l’avons dejà remarqué, & la couleur dans les Corps inanimez ; & dans quelques-uns, c’eſt la couleur & la figure tout enſemble.

§. 20.On acquiert mieux les idées des Qualitez ſenſibles des Subſtances par la préſentation des Subſtances mêmes. Ces Qualitez ſenſibles que je nomme directrices, ſont, pour ainſi dire, les principaux ingrédiens de nos Idées ſpécifiques, & ſont par conſéquent la plus remarquable & la plus immuable partie des définitions des noms que nous donnons aux Eſpèces des Subſtances qui viennent à notre connoiſſance. Car quoi que le ſon Homme ſoit par ſa nature auſſi propre à ſignifier une idée complexe, compoſée d’Animalité & de raiſonnabilité, unies dans un même ſujet qu’à déſigner quelque autre combinaiſon, néanmoins étant employé pour déſigner une ſorte de Créature que nous comptons de notre propre Eſpèce, peut-être que la figure extérieure doit entrer auſſi néceſſairement dans notre idée complexe, ſignifiée par le mot Homme, qu’aucune autre qualité que nous y trouvions. C’eſt pourquoi il n’eſt pas aiſé de faire voir par quelle raiſon l’Animal de Platon ſans plume, à deux piés, avec de larges ongles, ne ſeroit pas une auſſi bonne définition du mot Homme, conſideré comme ſignifiant cette Eſpèce de Créature, car c’eſt la figure qui comme qualité directrice ſemble plus déterminer cette Eſpèce, que la faculté de raiſonner qui ne paroît pas d’abord, & même jamais dans quelques-