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& l’Abus des Mots. Liv. III.

§. 14.1. A l’égard des idées ſimples, par des termes ſynonymes, ou en montrant la choſe.
* Liv. III. Ch. IV. §. 6.7.8.9.10. & 11.
Prémiérement donc, quand un homme ſe ſert du nom d’une idée ſimple qu’il voit qu’on n’entend pas, ou qu’on peut mal interpreter, il eſt obligé dans les règles de la véritable honnêteté & ſelon le but même du Langage de déclarer le ſens de ce mot, & de faire connoître quelle eſt l’idée qu’il lui fait ſignifier. Or c’eſt ce qui ne ſe peut faire par voye de définition, comme nous l’avons * déja montré. Et par conſéquent, lorſqu’un terme ſynonyme ne peut ſervir à cela, l’on n’en peut venir à bout que par l’un de ces deux moyens. Prémiérement, il ſuffit quelquefois de nommer le ſujet où ſe trouve l’idée ſimple pour en rendre le nom intelligible à ceux qui connoiſſent ce Sujet, & qui en ſavent le nom. Ainſi, pour faire entendre à un Païſan quelle eſt la couleur qu’on nomme feuille-morte, il ſuffit de lui dire que c’eſt la couleur des feuilles ſéches qui tombent en Automne. Mais en ſecond lieu, la ſeule voye de faire connoître ſûrement à un autre la ſignification du nom d’une Idée ſimple, c’eſt de préſenter à ſes Sens le Sujet qui peut produire cette idée dans ſon Eſprit, & lui faire avoir actuellement l’idée qui eſt ſignifiée par ce nom-là.

§. 15.2. A l’égard des Modes mixtes, par les définitions. Voyons en ſecond lieu le moyen de faire entendre les noms des Modes mixtes. Comme les Modes mixtes, & ſur-tout ceux qui appartiennent à la Morale, ſont pour la plûpart des combinaiſons d’idées que l’Eſprit joint enſemble par un effet de ſon propre choix, & dont on ne trouve pas toûjours des modèles fixes & actuellement exiſtans dans la Nature, on ne peut pas faire connoître la ſignification de leurs noms comme on fait entendre ceux des Idées ſimples, en montrant quoi que ce ſoit : mais en recompenſe, on peut les définir parfaitement & avec la derniére exactitude. Car ces Modes étant des combinaiſons de différentes idées que l’Eſprit a aſſemblées arbitrairement ſans rapport à aucun Archetype, les hommes peuvent connoître exactement, s’ils veulent, les diverſes idées qui entrent dans chaque combinaiſon, & ainſi employer ces mots dans un ſens fixe & aſſuré, & déclarer parfaitement ce qu’ils ſignifient, lorſque l’occaſion s’en préſente. Cela bien obſervé expoſeroit à de grandes cenſures ceux qui ne s’expriment pas nettement & diſtinctement dans leurs diſcours de Morale. Car puiſqu’on peut connoître la ſignification préciſe des noms des Modes mixtes, ou ce qui eſt la même choſe, l’eſſence réelle de chaque Eſpèce, parce qu’ils ne ſont pas formez par la Nature, mais par les hommes mêmes, c’eſt une grande négligence ou une extrême malice que de diſcourir de choſes morales d’une maniére vague & obſcure : ce qui eſt beaucoup plus pardonnable lorſqu’on traite des Subſtances naturelles, auquel cas il eſt plus difficile d’éviter les termes équivoques, par une raiſon toute oppoſée, comme nous verrons tout à l’heure.

§. 16.Que la Morale eſt capable de Démonſtration. C’eſt ſur ce fondement que j’oſe me perſuader que la Morale eſt capable de démonſtration auſſi bien que les Mathématiques, puiſqu’on peut connoître parfaitement & préciſément l’eſſence réelle des choſes que les termes de Morales ſignifient, par où la diſconvenance des choſes mêmes en quoi conſiſte la parfaite Connoiſſance. Et qu’on ne m’objecte pas que dans la Morale on a ſouvent occaſion d’employer les noms des Subſtan-