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De l’Imperfection des Mots. Liv. III.

que le Feu peut réduire en cendres, & n’admettent dans cette eſpèce, ou ne comprennent ſous le nom d’Or que les Subſtances qui ayant cette couleur jaune ſont fonduës par le feu, au lieu d’être réduites en cendres. Un autre par la même raiſon ajoûte la peſanteur, qui étant une qualité auſſi étroitement unie à cette couleur que la fuſibilité, a un égal droit, ſelon lui, d’être jointe à l’idée de cette Subſtance, & d’être renfermée dans le nom qu’on lui donne ; d’où il conclut que l’autre idée qui ne contient qu’un Corps d’une telle couleur & d’une telle fuſibilité eſt imparfaite, & ainſi de tout le reſte : en quoi perſonne ne peut donner aucune raiſon, pourquoi quelques-unes des Qualitez inſeparables qui ſont toûjours unies dans la Nature, devroient entrer dans l’eſſence nominale, & d’autres en devroient être excluës ; ou pourquoi le mot Or qui ſignifie cette ſorte de Corps dont eſt compoſée l’anneau que j’ai au doigt, devroit déterminer cette eſpèce par ſa couleur, par ſon poids & par ſa fuſibilité plûtôt que par ſa couleur, par ſon poids & par ſa capacité d’être diſſoute dans l’Eau Regale ; puiſque cette derniére propriété d’être diſſous dans cette liqueur en eſt auſſi inſéparable que la propriété d’être fondu par le feu : propriétez qui ne ſont toutes deux qu’un rapport que cette Subſtance a avec deux autres Corps, qui ont la puiſſance d’opérer différemment ſur elle. Car de quel droit la fuſibilité vient-elle à être une partie de l’Eſſence, ſignifiée par le mot Or, pendant que cette capacité d’être diſſous dans l’Eau Regale n’en eſt qu’une propriété ? Ou bien, pourquoi ſa Couleur fait-elle partie de ſon eſſence, tandis que ſa malléabilité n’eſt regardée que comme une propriété ? Je veux dire par-là, que toutes ces choſes n’étant que des propriétez n’étant autre choſe que des puiſſances actives ou paſſives par rapport à d’autres Corps, perſonne n’a le droit de fixer la ſignification du mot Or, entant qu’il ſe rapporte à un tel Corps exiſtant dans la Nature, perſonne, dis-je, ne peut la fixer à une certaine collection d’Idées qu’on peut trouver dans ce Corps, plûtôt qu’à une autre. D’où il s’enſuit que la ſignification de ce mot doit être néceſſairement fort incertaine, puiſque différentes perſonnes obſervent différentes propriétez dans la même Subſtance, comme il a été dit ; & je croi pouvoir ajoûter, que perſonne ne les découvre toutes. Ce qui fait que nous n’avons que des deſcriptions fort imparfaites des Choſes, & que la ſignification des Mots eſt très-incertaine.

§. 18.Les noms des Idées ſimples ſont les moins douteux. De tout ce qu’on vient de dire, il eſt aiſé d’en conclurre ce qui a été remarqué ci-deſſus, Que les noms des Idées ſimples ſont le moins ſujets à équivoque, & cela, pour les raiſons ſuivantes. La prémiére, parce que chacune des idées qu’ils ſignifient n’étant qu’une ſimple perception, on les forme plus aiſément, & on les conſerve plus diſtinctement que celles qui ſont plus complexes ; & par conſéquent elles ſont moins ſujettes à cette incertitude qui accompagne ordinairement les idées complexes des Subſtances & des Modes mixtes, dans leſquelles on ne convient pas ſi facilement du nombre précis des idées ſimples dont elles ſont compoſées, qu’on ne retient pas non plus ſi bien. La ſeconde raiſon pourquoi l’on eſt moins ſujet à ſe méprendre dans les noms des idées ſimples, c’eſt qu’ils ne ſe rapportent à