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De l’Imperfection des Mots. Liv. III.

me dans cette ſuppoſition l’on rapporte les noms des Subſtances à des Modèles qui ne peuvent être connus, leurs ſignifications ne ſauroient être réglées & déterminées par ces Modèles.

§. 13.Secondement à des Qualitez qui coëxiſtent dans les Subſtances & qu’on ne connoit qu’imparfaitement. En ſecond lieu, ce que les noms des Subſtances ſignifient immédiatement, n’étant autre choſe que les Idées ſimples qu’on trouve coëxiſter dans les Subſtances, ces Idées entant que réunies dans les différentes Eſpèces des Choſes, ſont les veritables modèles, auxquels leurs noms ſe rapportent, & par leſquels on peut le mieux rectifier leurs ſignifications. Mais c’eſt à quoi ces Archetypes ne ſerviront pourtant pas ſi bien, qu’ils puiſſent exempter ces noms d’avoir des ſignifications fort différentes & fort incertaines, parce que ces Idées ſimples qui coëxiſtent & ſont unies dans un même ſujet, étant en très-grand nombre, & ayant toutes un égal droit d’entrer dans l’idée complexe & ſpécifique que le nom ſpécifique doit déſigner, il arrive qu’encore que les hommes ayent deſſein de conſiderer le même Sujet, ils s’en forment pourtant des idées fort différentes  : ce qui fait que le nom qu’ils employent pour l’exprimer, a infailliblement différentes ſignifications en différentes perſonnes. Les Qualitez qui compoſent ces Idées complexes, étant pour la plûpart des Puiſſances, par rapport aux changemens qu’elles ſont capables de produire dans les autres Corps, ou de recevoir des autres Corps, ſont preſque infinies. Qui conſiderera combien de divers changemens eſt capable de recevoir l’un des plus bas Métaux quel qu’il ſoit, ſeulement par la differente application du Feu, & combien plus il en reçoit entre les mains d’un Chymiſte par l’application d’autres Corps, ne trouvera nullement étrange de m’entendre dire qu’il n’eſt pas aiſé de raſſembler les propriétez de quelque ſorte de Corps que ce ſoit, & de connoître exactement par les différentes recherches où nos facultez peuvent nous conduire. Comme donc ces propriétez ſont du moins en ſi grand nombre que nul homme ne peut en connoître le nombre précis & défini, diverſes perſonnes ſont differentes découvertes ſelon la diverſité qui ſe trouve l’habileté, & l’attention, les moyens qu’ils employent à manier les Corps qui en ſont le ſujet : & par conſéquent ces perſonnes ne peuvent qu’avoir différentes idées de la même Subſtance, & rendre la ſignification de ſon nom commun, fort diverſe & fort incertaine. Car les idées complexes des Subſtances étant compoſées d’Idées ſimples qu’on ſuppoſe coexiſter dans la Nature, chacun à droit de renfermer dans ſon idée complexe les qualitez qu’il a trouvées jointes enſemble. En effet, quoi que dans la Subſtance que nous nommons Or, l’un ſe contente d’y comprendre la couleur & la peſanteur, un autre ſe figure que la capacité d’être diſſous dans l’Eau Regale doit être auſſi néceſſairement jointe à cette couleur, dans l’idée qu’il a de l’Or, qu’un troiſiéme croit être en droit d’y faire entrer la fuſibilité ; parce que la capacité d’être diſſous dans l’Eau Regale eſt une Qualité auſſi conſtamment unie à la couleur & à la peſanteur de l’Or, que la fuſibilité ou quelque autre Qualité que ce ſoit. D’autres y mettent la ductilité, la fixité, &c. ſelon qu’ils ont appris par tradition ou par expérience que ces propriétez ſe rencontrent dans cette Subſtance. Qui de tous ceux-là a établi la vraye ſignification du mot Or, ou qui choiſira-t-on pour la détermi-