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Des Particules. Liv. III.

rangées exactement ſous des ſubdiviſions diſtinctes ; cependant qui voudra montrer le véritable uſage des Particules, leur force & toute l’étenduë de leurs ſignifications, ne doit pas ſe borner à parcourir ces Catalogues : il faut qu’il prenne un peu plus de peine, qu’il réflêchiſſe ſur ſes propres penſées, & qu’il obſerve avec la derniére exactitude les différentes formes que ſon Eſprit prend en diſcourant.

§. 4. Et pour expliquer ces Mots, il ne ſuffit pas de les rendre, comme on fait ordinairement dans les Dictionnaires par des Mots d’une autre Langue qui approchent le plus de leur ſignification, car pour l’ordinaire il eſt auſſi mal-aiſé de comprendre dans une Langue que dans l’autre ce qu’on entend préciſement par ces Mots-là. Ce ſont tout autant de marques de quelque action de l’Eſprit ou de quelque choſe qu’il veut donner à entendre : ainſi, pour bien comprendre ce qu’ils ſignifient, il faut conſiderer avec ſoin les différentes vûës, poſtures, ſituations, tours, limitations, exceptions & autres penſées de l’Eſprit que nous ne pouvons exprimer faute de noms, ou parce que ceux que nous avons, ſont très-imparfaits. Il y a une grande variété de ces ſortes de penſées, & qui ſurpaſſent de beaucoup le nombre des Particules que la plûpart des Langues fourniſſent pour les exprimer. C’eſt-pourquoi l’on ne doit pas être ſurpris que la plûpart de ces particules ayent des ſignifications différentes, & quelquefois preſque oppoſées. Dans la Langue Hébraïque il y a une particule qui n’eſt compoſée que d’une ſeule lettre, mais dont on compte, s’il m’en ſouvient bien, ſoixante-dix, ou certainement plus de cinquante ſignifications différentes.

§. 5.Exemple tiré de la Particule Mais.[1] Mais eſt une des particules les plus communes dans notre Langue, & après avoir dit que c’eſt une Conjonction diſcrétive qui répond au Sed des Latins, on penſe l’avoir ſuffiſamment expliquée. Cependant il me ſemble qu’elle donne à entendre divers rapports que l’Eſprit attribuë à différentes Propoſitions ou parties de Propoſitions qu’il joint par ce Monoſyllabe.

Prémiérement, cette Particule ſert à marquer contrariété, exception, différence. Il eſt fort honnête homme, Mais il eſt trop prompt. Vous pouvez faire un tel marché, Mais prenez garde qu’on ne vous trompe. Elle n’eſt pas ſi belle qu’une telle, Mais enfin elle eſt jolie.

II. Elle ſert à rendre raiſon de quelque choſe dont on ſe veut excuſer. Il eſt vrai, je l’ai battu, Mais j’en avois ſujet.

III. Mais pour ne pas parler davantage ſur ce ſujet : Exemple où cette particule ſert à faire entendre que l’Eſprit s’arrête dans le chemin où il alloit, avant que d’être arrivé au bout.

IV.[2] Vous priez Dieu, Mais ce n’eſt pas, qu’il veuille vous amener à

  1. En Anglois But. Notre Mais ne répond point exactement à ce mot Anglois, comme il paroît viſiblement par les divers rapports que l’Auteur remarque dans cette Particule, dont il y en a quelques-uns qui ne ſauroient être appliquez à note Mais. Comme je ne pouvois traduire ces exemples en notre Langue, j’en ai mis d’autres à la place, que j’ai tirez en partie du Dictionnaire de l’Academie Françoiſe.
  2. Cet exemple eſt dans l’Anglois. Nos Puriſtes blâmeront peut-être deux Mais dans une même periode, mais ce n’eſt pas dequoi il s’agit. Suffit qu’on voye par-là que l’Eſprit marque par une ſeule particule deux rapports fort différens : & je ne ſai même, ſi malgré les règles ſcrupuleuſes de nos Grammairiens, il n’eſt pas néceſſaire d’employer quelquefois ces deux Mais, pour marquer plus vivement & plus nettement ce qu’on a dans l’Eſprit. Cela ſoit dit ſans décider.