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Des Noms des Subſtances. Liv. III.

tient autre choſe que la ſignification du terme d’Or. Ou bien cela ſignifie que la fixité ne faiſant pas partie de la Définition du mot or, c’eſt une propriété de cette Subſtance même ; auquel cas il eſt viſible que le mot Or tient la place d’une Subſtance qui a l’eſſence réelle d’une Eſpèce de choſes, formée par la Nature : ſubſtitution qui donne à ce mot une ſignification ſi confuſe & ſi incertaine, qu’encore que cette Propoſition, l’Or eſt fixe, ſoit en ce ſens une affirmation de quelque choſe de réel, c’eſt pourtant une vérité qui nous échappera toûjours dans l’application particulière que nous en voudrons faire ; & ainſi elle eſt incertaine & n’a aucun uſage réel. Mais quelque vrai qu’il ſoit que tout Or, c’eſt-à-dire tout ce qui a l’eſſence réelle de l’Or, eſt fixe, à quoi ſert cela, puiſqu’à prendre la choſe en ce ſens, nous ignorons ce que c’eſt qui eſt ou n’eſt pas Or ? Car ſi nous ne connoiſſons pas l’eſſence réelle de l’Or, il eſt impoſſible que nous connoiſſions quelle particule de Matiére à cette eſſence, & par conſéquent ſi telle particule de matiére eſt veritable 0r, ou non.

§. 51.Concluſion. Pour conclurre ; la même liberté qu’Adam eut au commencement de former telles idées complexes de Modes mixtes qu’il vouloit, ſans ſuivre aucun autre modèle que ſes propres penſées, tous les hommes l’ont euë depuis ce temps-là ; & la même néceſſité qui fut impoſée à Adam de conformer ſes idées des Subſtances aux choſes extérieures, s’il ne vouloit point ſe tromper volontairement lui-même, cette même néceſſité a été depuis impoſée à tous les hommes. De même la liberté qu’Adam avoit d’attacher un nouveau nom à quelque idée que ce fût, chacun l’a encore aujourd’hui, & ſur-tout ceux qui font une Langue, ſi l’on peut imaginer de telles perſonnes ; nous avons, dis-je, aujourd’hui ce même droit, mais avec cette différence que dans les Lieux où les hommes unis en ſocieté ont dejà une Langue établie parmi eux, il ne faut changer la ſignification des mots qu’avec beaucoup de circonſpection & le moins qu’on peut, parce que les hommes étant deja pourvûs de noms pour déſigner leurs idées, & l’uſage ordinaire ayant approprié des noms connus à certaines idées, ce ſeroit une choſe fort ridicule que d’affecter de leur donner un ſens différent de celui qu’ils ont dejà. Celui qui a de nouvelles notions, ſe hazardera peut-être quelquefois de faire de nouveaux termes pour les exprimer ; mais on regarde cela comme une eſpèce de hardieſſe ; & il eſt incertain ſi jamais l’uſage ordinaire les autoriſera. Mais dans les entretiens que nous avons avec les autres hommes, il faut néceſſairement faire en ſorte que les idées que nous déſignons par les mots ordinaires d’une Langue, ſoient conformes aux idées qui ſont exprimées par ces mots-là dans leur ſignification propre & connuë, ce que j’ai dejà expliqué au long ; ou bien il faut faire connoître diſtinctement le nouveau ſens que nous leur donnons.