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Des Noms des Subſtances. Liv. III.

égard qu’autant de termes ſynonymes pour exprimer la même idée, & ne ſignifieroient autre choſe qu’une Montre. Il en eſt juſtement de même dans les choſes naturelles. Il n’y a perſonne, je m’aſſûre, qui doute que les Rouës ou les Reſſorts (ſi j’oſe m’exprimer ainſi) qui agiſſent intérieurement dans un homme raiſonnable & dans un Imbecille ne ſoient différens, de même qu’il y a de la différence entre la forme d’un Singe, & celle d’un Imbecille. Mais de ſavoir ſi l’une de ces différences, ou toutes deux ſont eſſentielles ou ſpecifiques, nous ne ſaurions le connoître que par la conformité ou non-conformité qu’un Imbecille & un Singe ont avec l’idée complexe qui eſt ſignifiée par le mot Homme ; car c’eſt uniquement par-là qu’on peut déterminer, ſi l’un de ces Etres eſt Homme, s’ils le ſont tous deux, ou s’ils ne le ſont ni l’un ni l’autre.

§. 40.Les Eſpèces des choſes artificielles ſont moins confuſes que celles des naturelles. Il eſt aiſé de voir par tout ce que nous venons de dire, la raiſon pourquoi dans les Eſpèces de Choſes artificielles il y a en général moins de confuſion & d’incertitude que dans celles des choſes naturelles. C’eſt qu’une choſe artificielle étant un ouvrage d’homme que l’Artiſan s’eſt propoſé de faire, & dont par conſéquent l’idée lui eſt fort connuë, on ſuppoſe que le nom de la choſe n’emporte point d’autre idée ni d’autre eſſence que ce qui peut être certainement connu & qu’il n’eſt pas fort mal-aiſé de comprendre. Car l’idée ou l’eſſence des différentes ſortes de choſes artificielles ne conſiſtant pour la plûpart que dans une certaine figure déterminée des parties ſenſibles, & quelquefois dans le mouvent qui en dépend, (ce que l’Artiſan opére ſur la Matiére ſelon qu’il le trouve néceſſaire à la fin qu’il ſe propoſe) il n’eſt pas au deſſus de la portée de nos facultez de nous en former une certaine idée, & par-là de fixer la ſignification des noms qui diſtinguent les différentes Eſpèces des choſes artificielles, avec moins d’incertitude, d’obſcurité & d’équivoque que nous ne pouvons le faire à l’égard des choſes naturelles, dont les différences & les opérations dépendent d’un mechaniſme que nous ne ſaurions découvrir.

§. 41.Les choſes artificielles ſont de diverſes Eſpèces diſtinctes J’eſpére qu’on n’aura pas de peine à me pardonner la penſée où je ſuis, que les choſes artificielles ſont de diverſes Eſpèces diſtinctes, auſſi bien que les naturelles ; puiſque je les trouve rangées auſſi nettement & auſſi diſtinctement en différentes ſortes par le moyen de différentes idées abſtraites, & des noms généraux qu’on leur aſſigne, lesquels ſont auſſi diſtincts l’un de l’autre que ceux qu’on donne aux Subſtances naturelles. Car pourquoi ne croirions-nous pas qu’une Montre & un Piſtolet ſont deux Eſpèces diſtinctes l’une de l’autre auſſi bien qu’un Cheval & un Chien, puiſqu’elles ſont repréſentées à notre Eſprit par des idées diſtinctes, & aux autres hommes par des dénominations diſtinctes ?

§. 42.Les ſeules Subſtances ont des noms propres. Il faut de plus remarquer à l’égard des Subſtances, que de toutes les diverſes ſortes d’idées que nous avons, ce ſont les ſeules qui ayent des noms propres, par où l’on ne déſigne qu’une ſeule choſe particuliére. Et cela, parce que dans les Idées ſimples, dans les Modes & dans les Relations il arrive rarement que les hommes ayent occaſion de faire ſouvent mention d’aucune telle idée individuelle & particuliére lorſqu’elle eſt abſente. Outre que la plus grande partie des Modes mixtes étant des actions qui périſſent